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UÉvangile selon Marc

DU MKMK AriKIlî

HiSTOiHE OU Ganmnkk l'Ancien Ti.sïament (1890), 1 vol.

in-8. 260 pages o fr.

llisToiiii: 1)1 (lANitN 1)1 Nouveau Testament (1891), 1 vol.

gr. in-8, 30o pages 15 fr.

[IlSrOIltE l.ltninlE DU TEXTE ET l>ES VEIISIONS DE l/A.NCIEN

Testament (1892-1893), 2 vol. in-8 Épuisé.

Les Mythes «abyloniens et les i'Hemieiis «.haf'Ithes de

la Genèse (1901), 1 vol. gr. in-8, xix-212 pagfs Ejniisé.

ErruES itiiii.ioi es. troisiôrae édilion (l;»o;i}, 1 vol. in-8.

240 pages 3 Ir.

Les KvANr.iLES synoimiques (1907-1908), 2 vol. gr. in-8,

1.014 et S18 pages 30 fr.

Le qcatiuéme Kvxnoile (1903), 1 vol.gr. in-8, i)00 pages. Épuisé. L'ÉvANuiLE ET i.Kgi.ise, quatrième édiUon (1908), 1 vol.

in-12, .\x.\iv-28û pages 3 fr.

Altouh d'i n petit livhe, deuxième édition (1904), 1 vol.

in-12, xxxiv-300 pages Épuisé.

Simples héflexions srii le décret du Saint-Offii.e La-

tiienlubili saiie exilu et sur l'Encyclique Pascendi

(Zowmic/^j-e^is, deuxième édition (1908 , 1 vol. in-12,

307 pages 3 fr.

Quelques lettres sur des questions actuelles et suh des

ÉVÉNEMENTS RÉCENTS M 908), 1 vol. in-12, 295 pages. . . 3 fr. La Religion d'Israël, deuxième édition (1908), 1 vol.

in-12, 297 pages 3 fr.

Leçons d'ouverture du cours d'Histoire des religions au

Collège de France (1909), in-12. 43 pages 0 7')

Jésus et la Tradition évanoélique (1910). 1 vol. in-12.

288 pages 3 fr.

A propos d'histoire des religions (1911), 1 vol. in-12,

326 pages 3 fr.

ALFRED LOISY

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L'EvangiLc

scion Marc

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PARIS

EMILE XOURRY, ÉDITEUR

62, RUE DES ÉCOLES ( V^)

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in 2010 witii funding from

University of Ottawa

L.

http://www.arcliive.org/details/lvangileselonmOOIois

IXTRODLCTIOX

Le présent commentaire est. pour une bonne partie, extrait d'un ouvrage plus considérable ' Ion a interprété ensemble les trois premiers Evangiles, afin d'analyser leur rapport mutuel. Cette étude comparée avait sa raison d'être. mais il peut être utile aussi d'examiner chaque Evangile à part, pour en mieux pénétrer le ca- ractère propre. Du reste, on ne se propose pas ici d'écrire un livre d'érudition sur le second Evangile : assez de gros volumes existent sur le sujet. On a essayé seulement de projeter quelque lumière sur les questions importantes : caractère, origine, objet de la composition, en les traitant d'un point de vue purement cri- tique et historique, sans autre préoccupation que celle d'exposer clairement l'état des pro- blèmes, ce qui paraît être le sens des textes et la vérité des choses.

1. Les Êianffiles synoptiques, deux volumes gr. in-S". 19(i7 et 1908.

L KVANGILE SELON MABC

C'est, à vrai dire, une œuvre singulière que le petit écrit désigné dans latraditionchrétienne sous le nom d'Evangile selon Marc. Légende religieuse, légende merveilleuse, mais, à y bien regarder, légende fort pauvre de matériaux, et déplus, fort mal construite : quelques anecdotes mal liées, quelques brèves sentences; et quand le discours est un peu plus long, c'est une com- pilation qui s'adapte mal aux circonstances in- diquées.

D'abord, nul cadre historique ni chronolo- gique : la scène est en Judée, maisc'est seulement au cours du livre que le nom d'un Hérode et, à la fin, celui de Ponce Pilate permettent de fixer approximativement le temps ont se passer les faits qu'on raconte. Etles faits se présentent comme il suit.

Jean dit le Bapliseur prêchait et donnait un baptême de repentir pour la rémission des péchés; il disait qu'un plus puissant que lui baptiserait bientôt les hommes dans le Saint- Esprit (i, 1-8). En efTet, Jésus vient de Nazareth se faire baptiser par Jean dans le Jourdain ; en sortant de l'eau, il voit descendre sur lui

INTRODUCTION

le Saint-Esprit en forme de colombe, tandis que, du haut du ciel, Dieu l'appelle son fils (i, 9-11); après quoi, l'Esprit le pousse au désert, oii, pen- dant quarante jours, il est tenté par Satan et servi par les anges (r, 12-13). Jean ayant été emprisonné, Jésus retourne en Galilée, annon- çant que le règne de Dieu est proche d, 14-15j ; près de la mer de Galilée, il recrute quatre dis- ciples (i, 16-20); il prêche dans la synagogue de Capharnaûm; un fou, l'évangéliste dit : « un homme en esprit impur », le salue « saint de Dieu », c'est-à-dire Messie envoyé d'en haut (i, 21-28) ; Jésus fait taire le démon de cet homme et le chasse. Il guérit la belle-mère de son disciple Simon, qui avait la fièvre i, 29-31;; il guérit beaucoup de malades qu'on lui amène (i, 32-39); il guérit un lépreux (i, 40-45); il gué- rit aussi un paralytique (ii, 1-12), mais pourmon- trer que « le Fils de l'homme » aie pouvoir de remettre les péchés. Le « Fils de Ihomme», c'est lui en tantque Christ envoyé de Dieu sur la terre pour sauver les hommes par sa mort. Il prend pour disciple un collecteur d'impôts (ii, 13-14), sorte de gens mal famés chez les Juifs. A. ce pro- pos, vient une série de petites anecdotes qui serventàmontrercommentJésus a soulevé contre lui la haine des Juifs pieux de son temps, les pharisiens; dans chaque anecdote, un mot in-

L EVANGILE SELON MARC

cisif justifie la conduite du Christ en ce qui re- garde la fréquentation des pécheurs (ii, 15-17i, la négligence du jeûne ii, 18-22), l'absence de scrupules dans lobservation du sabbat ii, 23- III, 6). La conclusion, mal préparée, est que les pharisiens complotent de faire mourir le no- vateur (m, 6 i ; mais il est encore trop tut d'amener le récit de la passion, et l'évangéliste passe à un autre sujet.

Jésus, au bord du lac de Tibériade, guérit toutes sortes de malades, qu'on lui apporte de toute la Palestine, et les démons ne se lassent pas de le proclamer « Fils de Dieu » (m, 7-12): il se rend à la montagne et s'associe les Douze, ceux que la tradition connaît sous le nom d'apôtres : il avait l'intention de les envoyer prt'^cher et chasser les démons (m, 13-19). Revenu à Ca- pharnaïim, il prêche dans une maison : ses parents veulent le ramener chez eux. disant qu'il est hors de sens ;iii.2u-21 ; les scribes, les docteurs venus jîe Jérusalem disent, de leur côté, que ce grand expulseur de démons est lui-même possédé du grand démon Beelzéboul : avec beaucoup d'à-propos, Jésus répond que le diable ne se chasserait pas lui-même ( iii, 22-30 ; et quand on l'avertit de la présence des siens qui le réclament, il déclare n'avoir d'autres parents que ceux qui obéissent à Dieu ( r.i. 31-35).

IXTRODICTION

Il revient près de la mer, et, assis dans une barque, il dit des paraboles au peuple groupé sur le rivage, notamment la parabole du Semeur qui s'en va semer son grain (iii, 1-9). Pourquoi parle-t-il ainsi en paraboles? C'est, explique- t-il à ses disciples, pour qu'on ne le comprenne pas: le mystère du règne de Dieu n'est que pour les croyants ; aux gens du dehors on le dérobe sous le voile des paraboles (iv, ll-12i. Mais les disciples eux-mêmes n'ontpas compris, et Jésus leur commente le Semeur (iv, 13-34). Puis la perspective change, et l'évangéliste accumule l'un sur l'autre quelques récils plus développés de miracles. Le soir du jour oii il a prononcé le discours des paraboles, Jésus, qui était sur la rive occidentale du lac, s'embarque pour la rive orientale : une tempête éclate, qu'il apaise en imposant silence aux vents et aux flots (iv, 35-41), comme il faisait pour les fous pos- sédés ; il aborde au pays des Géraséniens, chasse d'un démoniaque une légion de démons qui, entrant dans un troupeau de porcs, vont avec eux tomber dans le lac (v, 1-20); revenu à l'autre bord, il ressuscite la fille d'un certain Jaïr, qui était morte depuis quelques instants v, 21-43). Il se rend ensuite à Nazareth, on le reçoit mal, il n'y peut faire de miracles et s'en va ailleurs (vi, 1-6); il envoie les Douze prêcher

I. EVANGILE SELON MAKC

eux-mêmes; ainsi font-ils, chassant aussi les dénions et guérissant les malades (vi, 7-13). Alors Hérode entend parler de Jésus et se demande s'il ne serait pas Jean-Baptiste ressus- cité ; sur quoi l'évangéliste raconte dans le détail la mort de Jean-Baptiste (vi, 14-29).

Les apôtres revenus, Jésus s'embarque avec eux vers un lieu désert; la foule les y précède ; Jésus l'instruit et, le soir venu, avec cinq pains et deux poissons, il nourrit cinq mille hommes, qui laissent ensuite douze corbeilles de restes (VI, 30-4i-); il oblige les disciples à remonter dans la barque, et vers la fin de la nuit il les rejoint en marchant sur l'eau, <( ce dont ils furent stupéfaits », dit le narrateur, « car ils n'avaient rien compris aux pains » multipiés ivj, 45-52 . Un aborde au pays de Gennésareth : nombreux miracles sur le passage de Jésus (vi, 53-56). Surgissent des pharisiens qui lui demandent pourquoi ses disciples ne se lavent pas les mains avant de manger: ils s'attirent une verte réplique, suivie d'une explication aux disciples sur les choses qui souillent réel- lement l'homme (vu, 1-23). Jésus s'en va du côté de Tvr et de Sidon et soulage à distance une jeune fille possédée, dont la mère, bien que païenne, avait sollicité la guérison (vu, 24-30) ; il revient vers la mer de Galilée, en Décapote, et

IXTnODUCTION

guérit un sourd-muet (vu, 31-37 j ; « en ce temps- », nouvelle afOuence de foule, nouvelle mul- tiplication de pains, sept pains fournissant la nourriture de quatre mille hommes, plus sept corbeilles de restes (vui, 1-9). Nouvelle tra- versée : des pharisiens se présentent demandant à Jésus d'autoriser sa mission par un signe dans le ciel ; Jésus refuse ( viii, 10-13). Un mot qu'il dit sur « le levain des pharisiens », qu'il faut éviter, entre mal dans l'esprit des disciples; Jésus les interroge au sujet des deux mul- tiplications de pains et constate qu'ils n'y ont rien compris (viii, 14-21). H vient à Bethsaïde et guérit un aveugle (viii, 22-26). Il va près de Césarée de Philippeet demande à ses disciples ce qu'ils pensent de lui : « Tu es le Christ », dit Pierre (viii, 27-29) ; alors Jésus leur enjoint de ne le point répéter et leur apprend que le Fils de l'homme doit être mis à mort et ressusciter après trois jours ''viii, 30-31) ; Pierre proteste et se fait reprendre durement (vin, 32-33); Jésus ajoute que la croix n'est pas seulement la loi du Christ, mais celle de ses fidèles (viu, 34-38); du reste, le règne de Dieu arrivera bientôt, avant que la génération présente ait disparu (ix, 1). Six jours après, a lieu sur une montagne le miracle de la transfiguration (ix, 2-13); en des- cendant, Jésus guérit un épileptique (ix, 14-29),

H I. EVANGILE SELON MARC

l'évangéliste ditquil chasse un démon muet ;

il traverse incognito la Galilée et prédit une seconde fois sa mort et sa résurrection aux dis- ciples, qui ne comprennent pas (l\, 30-32;. Ar- rivé à <lapharnatim, il leur fait une instruction sur divers sujets concernant la charité mutuelle (ix, 33-50). Il part pour la Judée et la Pérée; des pharisiens l'interrogent sur la question du divorce, et il réprouve cette pratique (x, 1-12); il bénit de petits enfants qu'on lui amène, et dit que le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent [\, 13-16) ; un riche l'interroge sur les conditions du salut et se retire quand Jésus lui conseille de donner tous ses biens aux pauvres (x, 17-22); le Christ déclare qu'il est difiicile aux riches d'être sauvés et instruit les disciples de la récompense qui les attend en ce monde et en l'autre (x, 29-31). 11 prend décidé- ment le chemin de Jérusalem et, pour la troi- sième fois, annonce sa mort prochaine et sa résurrection après trois jours (x, 32-34) ; comme s'ils n'en avaient rien entendu, deux des disci- ples, Jacques et Jean, lui demandent pour eux- mêmes les deux premiers trônes qui seront à droite et à gauche du sien dans le royaume de Dieu; et Jésus de leur dire qu'ils auront un sort pareil à celui qui l'attend, mais que, quant aux trônes, il ne peut les leur attribuer (x, 35-41);

INTRODUCTION 9

les disciples de TEvangile doivent imiter le (( Fils de l'homme », qui « est venu pour servir et pour donner sa vie en rançon de plusieurs » (xi, 42-45). On arrive à Jéricho, et Jésus i^uérit un aveugle qui l'avait salué « fils de David » (x, 46-52).

C'est dans cette confusion que les commen- tateurs s'elîorcent encore maintenant de trouver une suite, un exposé méthodique de la carrière du Christ, voire des indications sur l'origine et le développement de sa conscience messianique, comme s'il n'était pas de toute évidence, aune première lecture et avant examen plus appro- fondi, que tout cet amalgame de miracles et d'instructions n'est qu'un entassement de souve- nirs — si ce sont toujours des souvenirs dont le groupement n'est pas gouverné par un prin- cipe rigoureux d'histoire ou de logique, mais par de simples analogies ou par des circonstances de rédaction qu'il importerait de déterminer. Et si, dans ladernière partie de l'Evangile, dans les récits de la prédication à Jérusalem et de la passion, un cadre chronologique paraît avoir été rigoureusement tracé, il ne semble pas que la matière historique ait fourni le cadre, mais que cette matière, historique ou non, ait été distri- buée plus ou moins heureusement dans le cadre conçu pour elle.

10 LKVANGir.E SELON MARC

Le Christ arrive enfin à Jérusalem. Avant d"v entrer, il envoie chercher un àne au bourg voisin, pour que son cortèg^e puisse Tacclamer Messie à l'endroit il se trouve, sur le mont des Oliviers >xi, I-IO ; il pénètre ensuite dans la ville, observe ce qui se passe dans le temple et revient avec les Douze à Béthanie : premier jour (xi, 11). Le lendemain matin, se rendant à Jérusalem, il maudit un figuier qui n'avait pas de figues et qui. vu la saison, n'en pouvait avoir xi, 12-14) ; puis il vient chasser les vendeurs du temple, et s'en va le soir, comme la veille xi. 15-19 : second jour. Le jour sui- vant, les disciples remarquent, en passant, que le figuier maudit est tout entier desséché; à ce propos. Jésus leur explique la puissance de la foi et de la prière xi, 20-26); venu au temple, il se dérobe habilement à la question que lui posent les prêtres touchant la mission qu'il s'attri- bue (^xi, 27-33 1; il prononce la parabole des Vigne- ronsmeurtriers, contre lesprêtres qui entendent, quimême comprennent, etqui n'osent pas le faire arrêter 'xu, l-12i ; il répond à la question que les pharisiens lui adressent touchant le tribut de César ixii, 13-17'; il répond à la difficulté que les sadducéens lui suggèrent à propos de la résurrection (xii, 18-27); il répond au problème qu'un scribe lui soumet touchant le plus grand

INTRODUCTION H

commandement de la Loi (xii, 28-34); il s'ex- plique de lui-même sur ce que les scribes en- seignent au sujet du Messie, qui devait être, selon eux, fils de David (xii, 35-37) ; il parle au peuple contre les pharisiens (xii, 38-40) ; il loue devant ses disciples la veuve qui a mis son liard dans le tronc du temple (xii, 41-44) ; en sortant du lieu saint, il annonce aux mêmes disciples que le temple sera détruit (xiii, 1-2) ; arrivé sur la montagne des Oliviers, il adresse à ses quatre premiers compagnons seuls le plus long discours qu'il y ait dans tout l'Evan- gile, le discours sur la tin du monde (xni, 3-37) : troisième jour, assurément bien rempli, et même surchargé. L'évangéliste observe alors qu'on est à deux jours de la pàque, ce qui ()a- raît devoir s'entendre de la veille même du jour oii on immolait l'agneau pascal ; ce soir- là, pendant que les prêtres et les scribes com- plotent sa mort (xiv, 1-2) et se concertent avec le traître Judas [ynv, 10-11), Jésus prend son repas à Béthanie chez Simon le Lépreux, et une femme répand sur sa tète une fiole de parfum (xiv, 3-9). Le jour oîi on tuait l'agneau, sans doute le quatrième du séjour à Jérusalem, les disciples préparent ce qu'il faut pour la pàque (xiv, 12-16) ; le soir, Jésus vient en ville avec les Douze pour le festin ; une fois à table, il

12 i/kvangii.e selon marc

annonce la trahison do Judas (xiv, 17-21); il rend grâces sur le pain et le vin et prononce les paroles qui instituent la cène chrétienne (XIV, 22-25) ; il sort pour aller au mont des Oliviers, et, chemin faisant, il prédit la fuite de ses disciples et le reniement de Pierre (xiv, 26-31). Le repas a rempli le premier quart de la nuit pascale ; la prière de Gethsémani (xiv, 32-42) et l'arrestation du Christ (xiv, 43- 50) remplissent la seconde ; au récit de l'arrestation se rattache l'incident bizarre de ce jeune homme enveloppé d'un drap, qui suivait Jésus, et qui s'enfuit nu quand on veut le prendre (xiv, 51-52) ; la troisième partie est remplie par le procès de Jésus devant le sanhédrin ( xiv, 53, 55-65) et par le reniement de Pierre (xiv, 54, 66-72) ; à la quatrième par- tie se rattache la préparation du procès devant Pilate (xv, 1). Le matin du cinquième jour, jugement du Christ par Pilale et incident de Barabbas (xv, 2-20) ; dans la seconde partie de la matinée, crucifiement, avec les détails du portement de la croix par Simon le Cyrénéen, du vin aromatisé que Jésus refuse, du partage des vêtements, de l'inscription, des deux vo- leurs, des insultes adressées au Christ en croix (xv, 21-32); de midi à trois heures, ténèbres, agonie de Jésus (xv, 33); à trois heures.

INTRODUCTION 13

plainte du Christ expirant, sa mort, rupture du voile sacré dans le temple, cri d'admiration du centurion (xv, 34-39) ; le soir, sépulture de Jésus par les soins de Joseph d'Arimathie, que suivent les femmes galiléennes (xv, 40-47). Alors on apprend que le jour de la passion était un vendredi. Le sabbat se passe ; le dimanche matin, les femmes galiléennes ar- rivent au tombeau lorsque le soleil est déjà levé : le tombeau est vide, et un ange leur dit que Jésus ressuscité attend ses disciples en Galilée ; les femmes s'enfuient et, dans leur frayeur, ne disent rien à personne de ce qu'elles ont vu (xvi, 1-8 . C'est sur ce trait, peut-être le plus étrange d'un livre qui en contient plusieurs du même genre, que se termine le texte authen- tique du second Evangile. Une sorte de semaine sainte a été esquissée, qui commence le lundi d'avant la pâque juive, par l'arrivée de Jésus à Jérusalem, et qui s'achève le dimanche suivant par sa résurrection.

II

Antérieure aux Evangiles de Matthieu et de Luc, la rédaction de Marc ne peut être con- trôlée comme ceux-ci par la comparaison d'une

14 l'évangile sei-ON marc

source plus ancienne, conservée jusqu'à nous. Mais des prohabilités de même ordre que celles qui font admettre pour Matthieu et pour Luc une source commune autre que Marc invitent à supposer aussi derrière Marc certains documents écrits, et d'ahord cette source même, que le rédacteur du second Evangile a exploi- tée avec plus de réserve pour ce qui est de la quantité des matériaux empruntés, mais avec non moins de liberté quant à la façon de les utiliser. A défaut d'indices fournis par le rap- port de textes parallèles, les incohérences de la composition et la correspondance de parties actuellement disjointes peuvent otTrir une base suffisante aux conjectures critiques. Dans une œuvre aussi peu littéraire, le manque de cohésion n'est pas une preuve de rédaction multiple. Mais l'incohérence qu'on pourrait appeler positive, le désaccord entre morceaux juxtaposés qui procèdent de courants d'idées très ditîérents, l'accumulation de données dis- parates qui se laissent reconstituer en groupes homogènes, caractérisés chacun par une aspi- ration distincte, les doubles emplois peuvent attester, ici comme ailleurs, la combinaison des traditions ou celle des sources écrite> et la com- plexité du travail rédactionnel.

11 ne paraît aucunement douteux que le se-

INTRODUCTION 15

cond Evang-ile est tout autre chose qu'un recueil mal agencé de traditions orales qu'un écrivain populaire aurait couchées pour la pre- mière fois par écrit: c'est une composition qui a été d'abord ébauchée, puis reprise et complétée, et non par une seule main. On re- marque de menues gloses, par exemple ce qui est dit des souffrances du Fils de l'homme, à l'endroit le Christ explique aux disciples qu'Elie est déjà venu (ix, 12-13i, ou bien la promesse que Jésus fait à ses apôtres, après leur avoir prédit qu'ils seront dispersés, de les attendre en Galilée quand il sera ressuscité (xiv, 28k Ce sont des surcharges manifestes, insérées dans un discours déjà écrit. Mais on découvre des additions beaucoup plus considé- rables et non moins évidentes. La dispute avec les scribes à propos de Beelzeboul 'iii, 22-30) s'intercale par une coupure violente dans l'anec- dote relative aux parents de Jésus, qui viennent le chercher parce qu'ils le croient hors de rai- son (ni. 20-21, 3r-35i. Le procès du Christ de- vant le grand-prêtre (xiv, 55-65 est intercalé de la même manière dans le récit du reniement de Pierre (xiv, 54, 66-72 . Ce ne sont pas gaucheries d'un narrateur maladroit qui entre- couperait à plaisir ses descri|)tions. mais en- tailles pratiquées dans des morceaux d'abord

16 l'évangile selon marc

équilibrés, à seule lin d'introduire des supplé- ments juj^és importants par un autre rédac- teur, aussi médiocrement pourvu de goût littéraire que peu soucieux d'exactitude histo- rique. Le cas le plus curieux en ce genre est peut-être celui du discours des paraboles (iv, 1-34) : entre les paraboles qui constituaient le discours dans la première rédaction, l'on a in- séré d'abord un aparté de Jésus avec les dis- ciples pour l'explication de la parabole du Semeur (iv, 10, 13-20); puis entre la demande d'explication et le commentaire du Semeur on a placé une réflexion sur le but général des paraboles (iv, 11-12), si bien que trois étapes de la composition sont marquées dans le texte définitif.

Tous ces suppléments servent une intention de ceux qui les ont rédigés, soit qu'on les ait empruntés aune source écrite, ou bien à une tradition orale, o,u qu'on les ait créés de toutes pièces. Par exemple, les trois prophéties détail- lées de la passion et de la résurrection (viii, 31 ; IX, 31 ; x, 32-34) ont été systématiquement ajoutées par un rédacteur qui voulait que Jésus n'eût pas été surpris par sa destinée, mais qu'il eût lui-même décrit d avance tout ce qui devait lui arriver. Quelles qu'aient pu être à cet égard les prévisions du Christ, ce qu'en dit

INTRODUCTION 17

l'évangéliste est calqué sur les faits accomplis, et l'on sait d'ailleurs que les disciples ne s'at- tendaient ni à la mort, ni à la résurrection de Jésus. Le même rédacteur a soin de prê- ter aux disciples, devant ces prédictions, une attitude équivoque ou une complète inintelli- gence. Cet aveuglement des disciples n'est pas conçu moins systématiquement que les prédic- tions auxquelles il est coordonné, et l'on peut dire que l'inintelligence des apôtres galiléens est une thèse du rédacteur dont il s'agit. Mais celui qui d'abord a montré Pierre proclamant que Jésus est le Christ (viii, 27-29) ne se pro- posait certainement pas de prouver que l'apùtre se faisait une idée fausse touchant la vocation de son maître. Le rédacteur des prophéties delà passion et de la résurrection avait devant lui ce récit delà confession messianique, et il le trouvait défectueux, parce qu'on n'y prévoyait pas la mort du Christ, et qu'on y donnait trop de relief aux disciples qui avaient d'abord salué Jésus Messie ; il l'a complété par une prédiction qui sauvait la prescience de Jésus, puis par le blâme infligé à Pierre, qui veut empêcher le Christ de mourir, enfin par des considérations sur le devoir de suivre le Christ dans son sacrifice (viii, 31-38). Toutefois il a laissé subsister, en la modifiant sans doute quelque peu, la parole

18 l'évangile selon marc

qui, dans la source, formait la suite naturelle de la confession de Pierre. A la déclaration : w Tues le Christ », Jésus répondait en manière de confirmation (ix, 1) : »< Ceux ([ui sont ici présents verront l'avènement du règne de Dieu ». L'Evangile prêché par Jésus avait pour perspec- tive l'avènement prochain du royaume céleste, du Messie dans sa gloire, et cette perspective était gardée dans la source de Marc ; mais la mort de Jésus, la foi à la résurrection, la pré- dication apostolique, les premières persécu- tions étaient intervenues, et la donnée primi- tive se trouvait de moins en moins d'accord avec les faits. C'est pour parer à cet inconvé- nient ([ue, non seulement après la confession de Pierre, mais un peu partout, le rapport de la prédication de Jésus avec la manifestation glorieuse du Messie, avec la parousie, se re- lâche, et que l'on fait prévoir a Jésus sa propre mort et la fondation de l'Eglise. Si les apôtres galiléens sont taxés d'une intelligence absolu- ment invraisemblable, ce n'est pas pour avoir méconnu le sens de prophéties qu'ils n'ont jamais entendues, c'est parce qu'ils ont été lents à comprendre s'ils l'ont jamais compris, que la mort de Jésus était la condition même du salut universel qui devait être ensuite pro- curé par la prédication de cette mort salutaire

INTRODUCTION 19

dans le monde entier. Ils avaient attendu, ils attendaient encore l'avènement du Messie pro- mis à Israël. Le Christ qu'ils n'ont pas compris n'est pas Jésus, qui lésa eus pour disciples, mais le Christ de Paul, l'être céleste qui, pour sau- ver les hommes, a pris la forme de l'homme, du serviteur, et s'est fait obéissant jusquà la mort de la croix,

La préoccupation de relever le ministère de Jésus par des miracles et des prédictions, celle de justifier ou d'autoriser la doctrine générale et l'action de Paul, ou, si l'on veut, le chris- tianisme paulinien, sont les facteurs qui ont contribué à l'enrichissement de l'humble notice ou avaient été consignés originairement les faits essentiels de la prédication galiléenne et la ten- tative messianique sur Jérusalem, avec son dé- nouement au Golgotha.

Ce document devait contenir la vocation des premiers disciples (i, 16-20); les incidents du premier sabbat à Capharnaûm (i, 21-39), sauf peut-être l'affaire du démoniaque et ce qui regarde les possédés; peut-être l'histoire du lépreux (i, 40-44); le fond de l'histoire du para- lytique (u, l-5«, 11-12) ; la vocation de Lévi (il, 13-14), les paroles concernant la fréquen- tation des pécheurs (ii, 16-17j et le jeûne (11, 18-22) ; le fond des histoires concernant

20 I.'KV.\Nf;iI.E SELON MARC

le sabbat ii, 23-27 ; m, 1-5) ; la démarche des parents de Jésus (m, 20-21, 31-35); les paraboles du Semeur et de la Semence (IV, 1-9, 26-29, 33) ; probablement le récit de la prédication à Nazareth (vi, 1-6) et le préam- bule de la première multiplication des pains (vi, 32-34) ; peut-être les indications générales concernant le passage en Gennésareth i vi. 53-56) et le voyage au pays de Tyr (vu, 24) ; la con- fession de Pierre (viii, 27-29) avec la promesse de la parousie prochaine (ix, 1) et la réflexion sur le retour d'Elie (ix, 11, 12a, 13) ; peut-être les indications concernant la traversée de la Galilée ''ix, 30), le passage à Capharnaûm (ix, 33a), le départ pour la Judée (x, 1) ; Fanec- dote des enfants amenés pour la bénédiction (x, 13-16) ; celle du jeune homme riche (x, 17-23, 25) ; la marche vers Jérusalem (x, 32a); l'expulsion des vendeurs (xi, 15-17); la question des prêtres touchant le pouvoir que Jésus s'attribue (xi, 27-33); la question des pharisiens sur l'impôt (xii, 13-17) ; pro- bablement aussi celle des sadducéens sur la résurrection (xii, 18-27), et la question du grand précepte (xu, 28-31) ; la parole sur la filiation davidique du Christ (xii, 35-37) ; le fond des récits concernant la trahison de Judas (xiv, 1-2, 10-11), la dernière cène (xiv, 22a,

INTRODUCTION 21

23-25), la veillée de Gethsémani et l'arrestation du Christ (xiv, 32-35, 41a, 43-47, 50), le renie- ment de Pierre (xiv, 53a, 54, 66-71), le juge- ment de Jésus par Pilate (xv, 1-5), le crucifie- ment et la mort (xv, 21-22, 24a, 26-27, 29-30, 326, 37). Ces fragments ne donnent pas une suite régulière ; mais il est à croire que, si la notice primitive a reçu de nombreux complé- ments, ce n'a pas été sans subir beaucoup de retouches et même certaines suppressions.

Le groupe de miracles qui suit le discours des paraboles paraît avoir été introduit après coup dans la relation primitive, et peut-être d'après une autre source : apaisement de la tempête (iv, 35-41) ; possédé de Gérasa (v, 1-20) ; résurrection de la fille de Jaïr et guérison de l'hémorroïsse (v, 21-43). Ces miracles sont racontés pour eux-mêmes, et avec une certaine complaisance ; les récits sont très vivants, mais de la vie que leur donne le narrateur plutôt que par l'abondance et la précision de souve- nirs réels. Ils font valoir simplement la puis- sance miraculeuse du Christ, et Ton ne saurait prouver qu'ils ne sont pas la représentation légendaire d'incidents qui se sont produits au cours du ministère galiléen. La guérison de l'enfant épileptique ''ix, 14-27), au moins pour le principal, et celle de l'aveugle de Jéricho

22 î/ÉVANGlLE SELON MARC

(x, 46-56) se présentent dans les mêmes condi- tions. On est tenté d'y joindre le récit de la morl de Jean-Raptiste (vi, 14, 17-29); la pre- mière muilipiicalion dos pains (vi, 35-44), quoique ce miracle semble avoir eu dès lori- gine une portée symbolique ; la transfigura- tion du Cbrist fix, 2-S), sauf retouche du der- nier rédacteur; enfin le triomphe messianique sur la montagne des Oliviers (xi, 1-10), la para- bole des Vignerons meurtriers (xii, 1-11), 1 en- cadrement du dernier repas, avec les prédic- tions de lrahi^on, de désertion, de reniement (xiv, l-.'-l<), 26-27, 29-31). iMais le caractère secondaire de ces récits paraît beaucoup plus assuré que leur attribution au rédacteur des légendes relatives aux grands miracles ; sur- tout ils ont moins de chance que celles-ci de correspondre à une réalité. Sous la môme ré- serve, on peut'ranger dans celte catégorie les discours de Jésus à la troupe qui est venue pour Tarrêter (xiv, 48-49), l'incident du jeune homme qui s'enfuit nu des mains des satellites (xiv, 51-52), le procès de Jésus devant Caiphe (xiv, 53/;, 55-65), l'incident de Barabbas (xv, 6-15a) et la scène de dérision dans le prétoire (xv, 16-20), la présentation du vin aromatisé (xv, 23), le partage des vêtements (xv, 24//I, les injures des prêtres (xv, 31-32), la rupture du voile

INTRODUCTION 23

sacré dans le temple (xv, 37j, enfin la sépulture de Jésus par Joseph d'Arimatliie et la découverte du tombeau vide par les femmes galiléennes. Mais ce dernier récit appartient plutôt à la rédaction finale de l'Evangile ; et les autres, s'ils sont plus anciens, ne sont pas mieux garantis.

Il serait bien risqué d'attribuer à la même main tous les fragments qui n'ont pas été men- tionnés dans les deux séries précédentes. Du moins convient-il de distinguer, pour ce qui est de l'origine et de la valeur des morceaux, les compléments qui ont été tirés du recueil des discours du Seigneur, et ceux qui procèdent de la fiction légendaire et tendancieuse.

Le recueil de discours contenait un résumé de la prédication de Jean et un récit de la ten- tation du Christ, peut-être la mention du bap- tême : la relation de iMarc, artiiiciellement reliée aux débuts du ministère galiléen, peut procéder de cette source ; mais le préambule (i, 1-3) est encore surajouté aux récits (i, 4-15). A la même source ont été empruntés plus ou moins librement la dispute avec les pharisiens au sujet de Beelzeboul hii, 22-30); la parabole du Sénevé, et d'autres sentences insérées dans le discours des paraboles (iv, 21-25, 30-32) ; le sommaire des instructions données aux apôtres pour leur mission (vi, 7-11) ; probablement la

24 l"év.\nc.ii.e selon marc

parole sur ce qui souille l'horanie, à propos de l'ablution des mains ivii, 2, 5, 9-12, 14-15); la réponse aux demandeurs de signes (viii, 11-12) ; le mot sur le levain des pharisiens (vni, 15); la leçon du renoncement fviii. 35, 38), après la confession de Pierre; les instruc- tions qui ont été rattachées au dernier séjour à Gapharnaiim (ix, 35, 37, 41-47,50); la réproba- tion du divorce (x, 1-12); la leçon du service apostolique (x. 42-44); l'instruction sur la foi et la prière, après le miracle du figuier des- séché (xi, 22-25) ; l'abrégé de discours contre les pharisiens xn, 38-39); enfin certaines parties du discours apocalyptique (xui, 9, 11, 21, 32, 33-36), le fond même du discours (xiii, 7-8, 12-20, 24-27, 30-31) ayant été fourni par une source indépendante, petite apocalypse qui pourrait être d'origine juive.

Semblent devoir être considérés comme des éléments rédactionnels que ne supporte aucune tradition précise, les deux tableaux vagues de guérisons nombreuses au bord de la mer (m, 7-12) et de la vocation des douze apôtres sur la montagne (m, 13-19) ; l'explication de la parabole du Semeur (iv, lO, 13-20); la mission des Douze (vi, 7, 12-13); le commentaire de la dispute sur l'ablution des mains (vu, 1, 3-4, 6-8, 13, 17-23i; peut-être l'histoire de la Cana-

INTRODUCTION 55

néenne (vu, 24-3Uj ; la guérison du sourd de laDécapole (vu, 81-37) ; la guérison de l'aveugle de Bethsaïde (viii, 22-26) ; la promesse que fait le Christ à ceux qui ont tout quitté pour le suivre (x, 28-30; ; la chronologie détaillée delà grande semaine, avec certains récits qui y sont coordonnés, la première visite au temple (xi, 11), la malédiction du figuier (xi, 12-14), la constatation de Teffet qui en est résulté (xi, 20-25), le repas de l'onction, avec son com- mentaire symbolique (xiv, 3-9), le miracle des ténèbres (xv, 33), le cri de détresse de Jésus mourant et la présentation du vinaigre (xv, 34-36); probablement le récit de la sépulture et celui de la découverte da tombeau vide.

A la même catégorie de suppléments rédac- tionnels appartiennent les passages qui font valoir la dignité du Christ Fils de l'homme, sa mission terrestre et l'incapacité des apôtres galiléens devant le mystère du salut. On y peut rattacher, dans leur forme spéciale, le récit du baptême (i, 10-11) et celui de la tentation (i, 12-13); ce qui, dans l'histoire du para- lytique, est dit touchant le pouvoir qu'a le Fils de l'homme de remettre les péchés (ii, 5à-10) ; ce qui est dit du même Fils de l'homme « maître du sabbat » (ii, 28) ; la thèse de l'endurcisse- ment des Juifs par le moyen des paraboles

26 l'évangile selon m.vrc

(iv, 11-1:^;;; le miracle du Christ marchant sur les eaux ^vi, 46-52] ; la seconde multiplication des pains (viii, 1-10) et la remarque sur les deux multiplications, à propos du levain des phari- siens (viii, 14-21) ; les trois prophéties de la passion avec leurs annexes (viii, 31-33, et la letton du renoncement, 34-3S ; ix, 31-32, avec la que- relle des disciples, 33-37, et Tanecdote de l'exor- ciste étranger, 3S-tO, qui y sont coordonnées; X, 326-34, avec la demande des fils de Zébédée et la leçon du service, x, 35-45); la remarque sur les souffrances du Fils de l'homme (ix, i2b), intercalée dans les propos concernant Elie ; dans la relation du dernier repas, les paroles : « Ceci est mon corps », « Ceci est mon sang», etc. (xiv, 226, 24) ; le sommeil des trois grands apôtres pendant la prière de Jésus à Gethsé- mani (xiv, 33-34, 30-37, 39-40) ; peut-être la profession de foi du centurion qui avait assisté à la mort de Jésus (xv, 39).

Il va sans dire que le même rédacteur a pu exploiter le recueil de discours, imaginer un miracle comme la guérison du sourd de la Décapole ou celle de l'aveugle de Bethsaïde, et dénoncer rinintelligence des apôtres galiléens devant le mystère du salut, la rédemption du genre humain par la mort du Christ. La triple division qui vient dèlre indiquée dans les élé-

INTRODUCTION 27

ments les plus récents de la rédaction ne cor- respond aucunement à trois étapes de celle-ci. On peut dire, au contraire, qu'une même préoc- cupation domine le tout, celle du rédacteur qui entend à la façon de Paul le mystère du salut; qui en pose le principe dans le discours des paraboles, déclarant que ce mystère a été confié comme un dépôt aux disciples de Jésus (il se garde bien de dire que les disciples l'aient com- pris) ; qui Téclaircit en disant que le Fils de l'homme est venu donner sa vie en rançon pour plusieurs; qui se complaît à délinir, plus nette- ment que ne voudrait l'histoire, l'institution du collège des Douze, mais afin de montrer aussitôt leur incapacité à saisir l'économie delà rédemp- tion qui s'accomplissait sous leurs yeux. C'est sans doute le même rédacteur qui fait res sortir l'inintelligence des apôtres devant les multiplications des pains et devant les pro- phéties de la passion ; ce peut être le même qui signifie la réprobation d'Israël dans le miracle du figuier desséché, comme il a entendu signi- fier la proposition du salut aux Juifs dans la première multiplication des pains, et la même proposition aux (ientils dans la seconde. C'est le même encore qui, envisageant pratiquement le mystère divin, préligure dans le baptême du Christ le baptême chrétien, dans le dernier

28 l'évangile selon marc

repas du Christ, la cène chrétienne, et qui sans (Joute adapte les récits de la passion et de la résurrection de Jésus au cadre de la commémo- ration dès lors usitée dans la communauté oii il vit, pour laquelle il écrit.

Celte préoccupation et ce caractère de l'œuvre finale importent beaucoup plus que les menus détails de critique littéraire. Quand même la précédente analyse ne correspondrait que fort inexactement à la réalité du travail rédac- tionnel, — et sans doute elle n'y correspond que do très loin, il en subsistera toujours assez, et elle paraît assez sûre dans son orienta- tion générale pour donner une idée juste de la place occupée par l'Evangile dit de Marc dans l'évolution de la pensée chrétienne, et mieux encore dans l'institution môme du christianisme. Elle permet en effet de voir comment le plus ancien des Evangiles canoniques est une syn- thèse, ou une ébauche de synthèse, avec adap- tation réciproque des maigres traditions rela- tives à la prédication et à la mort de Jésus, de l'Evangile qu'on appelle apostolique ou gali- léen, et de l'Evangile paulinien, de la religion de mystère que prêchait Paul, fondée sur la mort rédemptrice d'un être divin, et concrétisée dans des rites d'initiation et d'union mystique, les sacrements du baptême et de l'eucharistie.

INTRODUCTION 29

III

Le second Évangile, en effet, si mal composé qu'il soit, si incohérent qu'il paraisse, n'est pas un livre qui aurait poussé au hasard des ren- contres, successivement accru selon les infor- mations ou le caprice d'hagiographes inexpéri- mentés. Il traduit, il incarne les mouvements d'une foi vivante, à peine née sans doute, et encore en formation, mais d'autant plus active et plus hardie dans ses partis pris.

Il avait existé, quand Ponce Pilate était pro- curateur de Judée par la grâce de l'empereur Tibère, un prédicateur galiléen du nom de Jésus, qui, après avoir annoncé pendant quelque temps dans son pays l'accomplissement de l'espérance Israélite, la prochaine venue du règne de Dieu, étaitallé à Jérusalem et y avait subi le supplice de la croix comme prétendant à la royauté juive. Jésus avait l'esprit des anciens prophètes; il ne promettaitqu'aux justes, à ceux qui étaient bons comme Dieu même, l'accès au royaume de féli- cité qui allait, selon lui, être créé sur la terre de Palestine, et dont lui-même serait le chef; il n'attendait que de Dieu l'accomplissement de son rêve ; mais Dieu et son Christ devaient

30 l'évangile selon marc

détrôner César. Le prophète de Nazareth fut ainsi victime de son illusion autant que d'une erreur judiciaire, inévitable en l'occurrence. Cependant la foi de ses disciples l'avait ressus- cité, proclamé Christ auprès de Dieu, et le petit groupe de ses adhérents continuait d'espérer la manifestation du règne divin et du Ciirist qui devait y présider. Dans l'état d'extrême fermentation était alors le judaïsme, la secte nouvelle faisait des recrues; mais ce n'aurait été qu'une secte juive, sans avenir, si elle n'avait réussi à prendre pied dans le monde païen.

On sait comment elle y parvint. Paul de Tarse n'avait ni la simplicité de foi, ni la can- deur morale, ni la sereine bonté qui semblent avoir caractérisé Jésus, mais il était sans doute missionnaire ; il se proclamait lui-même l'apôtre des païens; de violent persécuteur des premiers fidèles du Christ, par une conversion subite, qu'avait provoquée, du moins en apparence, un accident fortuit, il était devenu le plus ardent prédicateur de l'Evangile. Quand il est entré dans le plein exercice et le plein succès de sa propagande, Paul enseigne un poème de la rédemption que l'existence historique de Jésus sert seulement à fixer sur la terreetdans le temps.

Deux hommes, tètes de l'humanité, auraient existé dès le commencement. L'un était de la

INTRODUCTION 31

terre, et il était de terre, Adam, qui, étant de chair, pécha et reçut comme salaire du péché la mort; chair, péché, mort, tel est le triple héritage qu'il transmet à ses descendants. La Loi sans doute fut donnée par Moïse aux Juifs, mais la connaissance de la Loi par l'homme charnel ne contribue qu'à la multiplication du péché ; et la preuve que la foi ne justifie pas, c'est qu'Abraham, avant la Loi, fut justifié par la foi, selon ce que dit l'Ecriture. Or la foi qui sauve est celle qu'on doit avoir au second homme, au véritable et dernier chef de l'hu- manité, Jésus-Christ. Celui-là est du ciel; il était au ciel, en forme de Dieu et fils de Dieu ; par obéissance il prit la forme de l'homme terrestre et parut comme l'un des enfants d'Adam, de la femme et vivant sous la Loi : c'était pour mourir, détruire le péché par sa propre mort, et racheter ainsi ceux que la nature et la Loi rendaient esclaves du péché ; il mourut sur la croix ; mais, comme il était du ciel, esprit par son origine, il ne pouvait rester dans la mort ; ressuscité par Dieu, il vit à jamais. Et de même que l'on a porté pour la damnation l'image de l'homme terrestre, on doit porter pour le salut l'image de l'homme céleste. Par le baptême on participe à sa sépulture, à sa mort, mourant par au péché et vivant à Dieu comme

32 L'l':\A.Nf;iLE SELON MARC

le Christ, par le Christ; dans la cène, on s'unit au Christ Sauveur, car le pain qui est rompu dans le repas de communauté n'est pas autre chose que le corps de Jésus crucifié, la coupe de vin renferme son sang; ainsi proclame-t-on le salut opéré par cette mort bienfaisante, en atten- dant que le Christ apparaisse.

L'espérance juive du grand avènement de- meure, mais quelque chose qui n'est pas juif vient au premier plan, et cet élément nouveau, principal, qui n'est pas juif, est proprement le mystère chrétien. Jésus n'est plus le roi pré- destiné d'un Israël juste, c'est un dieu sauveur à la manière des Osiris, des Adonis, des Attis et des Mithra. Comme eux il appartient origi- nairement au monde céleste; comme eux il a fait une apparition sur la terre; comme eux il a, dans ce passage, accompli une œuvre effi- cace et typique du salut universel ; frappé de mort violente, comme Osiris, Adonis et Attis, il est comme eux revenu à la vie, préfigurant dans son sort celui des humains qui participe- raient à son culte, commémoreraient sa mystique aventure et s'associeraient ainsi à sa passion. Et comme les dieux des mystères païens, il ne fait pas acception de nationalité : Dieu était dans le Christ pour se réconcilier le monde, non pour sauver Israël ; le peuple qui se disait choisi était

INTRODUCTION 33

un peuple réprouvé, au moins provisoirement; le Messie qu'il attendait n'était pas venu pour lui, ne lui appartenait pas; l'Homme céleste appartenait à l'humanité. Paul a si bien transformé la passion du Christ en mystère de salut que Jésus de Nazareth n'a aucune place dans sa religion ; le grand apôtre se tlatte de ne vouloir point connaître le Chi'ist « selon la chair ». La carrière terrestre de Jésus, qu'il trouve sans éclat, est pour lui dénuée de signi- fication : ce qui importe est sa mort, abstrac- tion faite des circonstances qui l'ont amenée; et même il ne servirait à rien d'en avoir été témoin. Un myste d'Isis aurait pu proclamer de même qu'il n'était pas besoin d'avoir vécu au temps d'Osiris, de l'avoir vu tuer par Seth et ressusciter par Isis, pourvu que l'on fût uni à Osiris dans son mystère.

Pourtant ce n'est pas seulement à ce mystère paulinien que se convertit le monde romain. L'Evangile galiléen ne s'est pas perdu. Paul lui- même en a retenu plus qu il ne veut bien dire et plus qu'il ne pensait. Il n'était ni possible ni vraiment utile de s'abstraire à ce point de ce que Jésus avait fait et enseigné avant de mourir. L'Apôtre a eu beau se prévaloir d'un Evangile à lui communiquépar révélation directe du Christ immortel, le fait historique del'Evan-

34 i/ÉvANf;n.E sf.lon marc

gile n'était pas réductible au mythe d'une mort salutaire, d'une immolation divine, objet de foi auquel on aurait pu se tenir, sans aucun égard pour les souvenirs de Pierre et des an- ciens disciples. La tradition de l'h^vangile don- nait au christianisme un point de départ dans l'histoire, un fondateur connu, qui avait ramené à une synthèse très simple la doctrine et l'es- pérance juives, qui avait traduit en sentiment vivant le monothéisme moral qu'était devenu le judaïsme. Elle tenait du judaïsme l'idée d'un Dieu unique et transcendant; des Ecritures sa- crées qui étaient censées conserver une révéla- tion supérieure dont la venue du Messie mar- quait le dernier accomplissement; entin le sentiment très vif de l'unité religieuse, qui avait fait de la nation juive une Eglise et qui devait faire des communautés chrétiennes une sorte de peuple dispersé dans tout l'univers. Paul était loin de renier tous ces éléments du christianisme primitif, mais, dans la fougue de son tempérament mystique, et par une sorte de nécessité, pour installer la foi du Christ en dehors de toute intluence restrictive et pa- ralysante du judaïsme, il en avait au moins négligé quelques-uns. Après lui, et peut- être déjà autour de lui, les disciples qu'il avait formés, les communautés qu'il avait ins-

INTRODUCTION 35

titu«^es n'eurent rien de plus pressé que d'asso- cier son mystère à la tradition apostolique sur le Christ, au lieu de l'y substituer. Les Évan- giles canoniques sont les documents de ce mé- lange : l'on y veut démontrer, en utilisant ce que les apôtres galiléens avaient raconté du « Christ selon la chair » et ce que la tradition judéochrétienne avait imaginé pour établir la messianité de Jésus, que celui-ci était le Christ spirituel, non seulement le Messie qu'Israël attendait, mais le Sauveur divin de l'humanité. L'œuvre n'est qu'ébauchée dans Marc et les deux autres Synoptiques ; elle est menée à terme dans le quatrième Evangile, vrai livre de mystère, qui fixe l'enseignement de l'Eglise sur le Christ en présentant la carrière de Jésus comme la manifestation terrestre du Verbe fils de Dieu. Le document fondamental du second Evan- gile représente le Christ de Simon-Pierre et des apôtres galiléens : c'est un écho de leurs souve- nirs, comme l'était aussi le recueil des discours du Seigneur; mais ce n'est pas un écho immé- diat et il ne s'agit pas de simples souvenirs. Les anecdotes ont pris forme dans la tradition, et le Christ n'y apparaît jamais qu'en son rôle de thaumaturge, prophète du royaume, Messie pré- destiné. Vu la part prééminente qu'a eue Pierre dans la fondation de la première communauté,

30 i.'kvangii.e selon marc

dans les origines de la prédication chrétienne, on peut parler ici de souvenirs de Pierre, mais à condition de ne pas l'entendre trop à la lettre ni trop exclusivement. Ce qu'on nous raconte n'a pas été écrit sous la dictée de Pierre ni comme un extrait ou un résumé de sa prédica- tion. Les grands miracles, ou du moins les récits développés de miracles tels que la résurrection de la lille de Jair et celle du possédé de Gérasa, sont dans la même ligne de croyance; peut-être ne sont-ils plus tout à fait dans la même note de souvenirs. On y sent davantage le sentiment de la foi qui se satisfait elle-même en glorifiant son objet; et quand il s'agit de faits qui tendent à prouver la messianité de Jésus par leur rapport avec les prophéties anciennes, qui semblent cal- qués sur ces prophéties, qui sont inconsistants en eux-mêmes, dont parfois on ne voit pas com- ment ils ont pu être attestés ni pourquoi on les aurait signalés, ou bien dont le symbolisme es- sentiel trahit l'origine, on est dans le domaine de la fiction pieuse, rêve mystique plutôt que mensonge délibéré, mais fiction, qui, dans les libertés qu'elle prend, ne peut être attribuée tout entière aux premiers témoins du Christ, mais plutôt aux fidèles de la seconde génération, les uns et les autres étant d'ailleurs aiguillonnés par les exigences de leurs polémiques avec les Juifs.

INTRODUCTION , 37

Ajoutons que, si cette amplification des souve- nirs s'est produite d'abord chez les judéochré- tiens, elle a pu se continuer même chez les hellénochrétiens qui avaient aussi en main l'An- cien Testament et ne laissaient pas de trouver avantage à montrer que Jésus était le Christ promis dans les Ecritures. Le travail, com- mencé dans les cercles Judéochrétiens de Pales- tine, a donc pu s'achever ailleurs.

Ce qui fait l'intérêt particulier du second Evangile est la façon dont l'idée paulinienne du salut s'empare de la matière évangélique, tout en s'y adaptant elle-même. La mort du Christ reste l'objet propre de sa mission; mais sa carrière terrestre, dont Paul ne voulait même point parler, est comprise comme une manifestation de sa puissance. Une application rigoureuse de ce principe aurait conduit à pla- cer au début de l'existence de Jésus l'incarnation du Christ préexistant en Dieu. Mais on se con- tente de l'étendre à la carrière publique de Jésus, c'est-à-dire aux limites de la tradition galiléenne, en sorte que la descente de l'Esprit divin surle Christ baptisé semblerait introduire dans la personne de celui-ci un dualisme qui n'est pas dans la pensée de Paul ni probable- ment dans celle de l'ovangéliste. La formule M Fils de l'homme », tant affectionnée par ce

38 l'évangii.e selon marc

dernier, vient de Daniel, mais 1 idée qui s'y attache vient de Paul et des mystères païens, beaucoup plus que du messianisme juif. La phy- sionomie de IKvangile n'en est pas moins trans- formée par 1 idée du Libérateur divin, dont les paroles sont une révélation et les actes une opération du mystère de salut. La tentation au désert est le début qui convient à cette carrière de héros céleste. Les guérisons de possédés, vulgaires exorcismes, représentent la victoire du Christ sur Satan. La guérison du paraly- tique devient une preuve et sans doute un sym- bole du pouvoir qu'a le Fils de l'homme de remettre les péchés. C'est lui aussi, le Fils de l'homme, qui est maitre du sabbat, pour en dispenser les chrétiens; c'est lui qui déclare, avant Paul, qu'il n'y a pas d'aliments impurs, mais seulement des volontés, des paroles et des actes humains qui sont répréhensibles. C'est lui qui a institué le service du salut, l'apostolat chrétien, l'indéfinie multiplication du pain de vie, non seulement pour les Juifs, mais aussi, on pourrait dire surtout pour les Gentils; c'est lui qui devait mourir crucifié, afin de ressus- citer le premier, donnant sa vie pour racheter de la mort tous les prédestinés. 11 était venu sur la terre pour mourir, il le savait, ilTanon- çait; il avait prédit la trahison de Judas, le re-

INTRODUCTION 39

niement de Pierre, les outrages des prêtres, la croix, mais aussi la résurrection et tout ce qui devait arriver avant la fin du monde. Le titre de roi des Juifs, affiché en haut de la croix, n'était qu'une image de sa royauté spirituelle; le grand-prètre et le sanhédrin l'avaient con- damné pour avoir dit ce qu'il était : le Fils de Dieu et le Fils de l'homme, le Sauveur divin. Et avant de mourir, au cours de son dernier repas, il avait institué la commémoration de sa mort salutaire dans la fraction du pain et le partage de la coupe : qui mangerait de ce pain, qui boirait de ce vin, participerait au corps et au sang du divin Grucilié, selon que Paul lui- même l'avait enseigné à ses convertis.

L'histoire de Jésus est doncdevenue un véritable mystère, un faitdivin;onse la figure, on la raconte comme telle, et le mot même de mystère est pro- noncé, parce que cette façon d'entendre la vie du Christ, issue de la foi, n'a de sens que pour elle, n'appartient qu'à elle. Pour les gens du dehors, ce n'est qu'énigme inintelligible ; mais, pour le fidèle, c'est une révélation, c'est la représenta- tion même de la vie terrestre du Sauveur, de l'économie du salutqu'il a instituée. Il est baptisé d'Esprit Saint, lui premier, parce que ses fidèles le seront, et pour qu'ils le soient à son exemple ; il partage et présente le pain et le vin à ses dis-

40 l'évangile selon marc

ciples en disant : « Ceci est mon corps », « Ceci est mon sang », parce que les chrétiens feront ainsi, et pour qu'ils puissent avoir part à son corps et à son sang.

Cette considération lypologique, essentielle au mystère, explique le symbolisme d'un livre qui est pourtant le produit spontané, quoique fort complexe, de la foi. 11 ne s'agit pas, en ell'et, d'allégories ('tudiées, de constructions savantes, mais dune interprétation qui jaillit naturellement de la considération mystique. Pour la foi il convient que les faits évangé- liqut's signifient quelque chose, et la foi crée le sens, elle crée même le fait avec le sens, comme il arrive pour les multiplications des pains, pour le miracle du figuier desséché, qui sont des métaphores ou des paraboles transformées en faits censés réels, mais pleins de signification. L'on peut dire sans nul paradoxe que le sens de ces merveilles importe beaucoup plus à lévangéliste que le prodige de puissance dont elles sembleraient être l'effet. Au point de vue du mystère, toute parole du Christ doit être précepte ou prophétie, tout acte modèle et type. Le récit de l'onclion à Bélhanie introduit dans le texte même l'interprétation symbolique de l'acte raconté; mais une interprétation ana- logue est sous-entendue dans maint autre ré-

INTRODUCTION 41

cit ; elle est suggérée assez clairement, par exemple, pour le miracle ,da figuier, ou bien pour les deux multiplications des pains.

Mais, au temps relativement ancien notre Evangile acquit sa forme définitive, le senti- ment des luttes que Paul avait eu à soutenir pour faire accepter ou tolérerdes apôtres galiléens ce qu'il appelait son Evaogile, n'était pas encore effacé, ni celui de l'écart qui existait entre la conception judéochrétienne et la conception paulinienne de la mission du Christ. C'est ce sentiment qui se fait jour, dans Marc, dune façon presque choquante et qui a paru telle aux évan- gélistes plus récents. Ce mystère du salut, qui n'avait été proposé aux Juifs que pour leur aveu- glement, force était bien de dire qu'il avait été donné aux disciples immédiats de Jésus; mais ceux-ci l'avaient reçu comme un dépôt fermé dont ils n'avaient pas l'intelligence. Et ce qu'ils n'entendaient pas, l'évangéliste le dit, c'était l'essentiel du mystère, l'importance unique de la mort de Jésus pour le salut de l'humanité. Ces apôtres-colonnes, ces archi-apôtres dont leur disciples étaient si fiers et qu'ils opposaient à Paul, qui n'avait pas connu le Christ, ils n'avaient jamais compris leur maître, et Pierre le premier, avec Jacques et Jean, les fils deZébédée. Sourds aux prophéties de la passion, l'un avait

42 l'évangile selon marc

voulu s'opposer à ce que Jésus la subît, les deux autres ne se souciaient que d'avoir les premières places auprès du Christ glorieux dans le royaume de Dieu, et tous les trois avaient dormi à Gethsémani. quand Jésus leur demandait de prier avec lui. ils ne comprenaient pas mieux les miracles signilicatifs, la tempête apaisée, Jésus marchant sur les eaux, les multiplications des pains. Des Juifs à eux la distance n'était p;is déjà si grande (cf. iv. 12, et viii, 17-18 . Pourtant c'étaient les disciples du Christ, on ne pouvait le nier; ils avaient transmis l'Evangile, qu'ils entendaient si mal, à d'autres qui, sans doute, l'enlendaientmieux ; ils étaient morts enfin pour l'Evangile, lorsqu'on esquissait deux un por- trait si peullatlé. On pouvait ne leur tenir pas rigueur pour leur insullisance, mais il ne fallait pas non plus méconnaître la vérité.

Tel paraît être le sens du second Evangile, et par conséquent ce livre n'a jamais pu être écrit par un disciple de Pierre. Le dernier rédacteur, celui qui a donné à l'œuvre sa signification gé- nérale, son caractère dominant, n'était pas lié par des souvenirs à lui propres, ni par des ren- seignements recueillis auprès des témoins du Christ : c'est lui qui entend mal la prédication de Jésus; il dogmatise comme Paul, il exploite des sources comme les rédacteurs de Matthieu et

INTRODUCTION 43

Luc. Jaif d'origine, à ce qu'il semble, et bien au courant des choses juives, il n'est point judéo- chrétien, et il a pris nettement parti contre les Juifs ; dans l'intérêt de la nouvelle religion, pour lui distincte du judaïsme, il montre Pilale favo- rable au Christ et il impute aux Juifs, chefs et peuple, la responsabilité de la sentence de mort exécutée sur Jésus. Il pourrait avoir été le dis- ciple et, en tout cas, il est grand admirateur ou plutôt grand partisan de Paul. On peut dire que son livre est une interprétation paulinienne, volontairement paulinienne, de la tradition évangélique. Son paulinisme ne tient pas à quelques expressions, à quelques lambeaux de phrase ou de doctrine empruntés à l'Apôtre des Gentils ; il est dans l'intention générale, dans les idées dominantes et dans l'esprit de l'œuvre. Du reste, l'évangéliste n'entre pas dans les détails et les subtilités de la doctrine pau- linienne, soit par un certain sens de la mesure qu'il convenait de garder en racontant l'his- toire de Jésus, soit qu'il ait été naturellement porté vers les conceptions générales et simples, soit qu'il ait connu par intermédiaire l'ensei- gnement de Paul et qu'il n'ait pas entendu lui-même l'Apôtre ni lu ses Epitres. Il écrivait sans doute assez peu de temps après la mort des apôtres et après la ruine de Jérusalem, hors

44 l'évangile selon marc

(le la Palestine, dans une communauté ré- gnait encore le souvenir de i*aul, mais la tradition judéochrétienne de l'Evangile ne lais- sait pas d'être prise en considération. II vou- lait montrer comment Jésus était le vrai Sau- veur, et expliquer en même temps pourquoi les Juifs ne lavaient pas reconnu : l'Evangile n'était pas pour les Juifs et n'avait été pour eux qu'un mystère incompris.

IV

Comme les trois autres, le second Évangile porte un nom d'auteur, etcomme les trois autres, ce nom paraît fort sujet à caution. D'après la tradition chrétienne et mênrie bon nombre de critiques modernes, il s'agirait de Jean Marc, dont parlent .les Actes, et du Marc mentionné dans les Epilres de Paul et dans la première Kpître de Pierre i'Act., xii, 12.25; xiii, 13; xv, 37-30; Col., iv. 10; Phm., 24; II Tlm., iv, 11; lPiER.,v, 13). Fils de cette Marie en la maison de laquelle Pierre se rendit quand il eut échappé à la prison d'Hérode, cousin de Barnabe, uni à celui-ci et à Paul dans leur voyage de Chypre, puis cause de brouille entre ses com- pagnons de mission, réconcilié avec Paul, sans

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qu'on sache comment, et son auxiliaire dans le temps l'Apôtre écrivait les Epîtres aux Golossiens et à Philémon, signalé en cette qua- lité dans la IP à Timothée, désigné dans la P de Pierre comme son <■<■ fils » spirituel, et associé à son ministère « dans Babylone », c'est-à-dire probablement dans Rome, Marc aurait écrit son Evangile dans cette ville, les uns disent après, les autres disent avant la mort- des apôtres Pierre et Paul ; plus tard il aurait quitté Rome et aurait fondé l'Eglise d'Alexandrie.

Ces indications ne sont guère plus conciliables entre elles qu'avec le livre dont Marc est sup- posé l'auteur. Celui-ci aurait été l'interprète de Pierre, son auxiliaire assidu pendant son mi- nistère et principalement dans les dernières années. Or on ne voit pas comment l'évangé- liste Marc aurait pu avoir ces rapports constants avec Pierre, si c'est lui qui est le Jean Marc des Actes et le compagnon de Paul. Aussi bien quelques-uns ont-ils voulu distinguer l'évangé- liste, auxiliaire de Pierre, du missionnaire Jean Marc, auxiliaire de Paul. Mais Texistence de celui-ci est beaucoup mieux garantie que la per- sonnalité propre de celui-là. Sans entrer dansla discussion détaillée de cette légende, il suffit, pour en percevoir la juste signification, d'ana-

46 l'évangile selon marc

lyser le plus ancien témoignao^e qui la sup- porte.

Eusèbei/yisf. eccL m, 39, 15-16) a conservé les notices que donnait le vieil auteur Pupiasd'Hié- rapolis touchant l'orig^ine des deux premiers Kvangiles. La notice deMarc se recommande expressément du nom de Jean l'Ancien, qui aurait été « disciple du Seigneur ». « L'Ancien, raconte Papias, disait encore ceci : Marc, étant devenu l'interprète de Pierre, a soigneusement écrit tout ce dont il se souvenait; cependant (il n'a) pas écrit avec ordre ce qui avait été dit ou fait parle Christ. Car il n'avait pas en- tendu le Seigneur et il ne l'avait pas suivi ; mais, en dernier lieu, comme je l'ai dit, (il avait suivi) Pierre, qui, selon le besoin, donnait les ensei- gnements, mais sans exposer avec ordre les discours du Seigneur; en sorte que Marc n'a fait aucune faute en écrivant ainsi certaines choses selon qu'il se rappelait; car il n'avait qu'un souci, ne rien omettre de ce qu'il avait entendu, et n'y introduire aucune erreur. » Tou- chant le premier Evangile Papias dit : « Matthieu avait rédigé en langue hébraïque les discours du Seigneur, et chacun les interprétait comme il pouvait. »

L'autorité qu'il convient d'attribuer aux dires de Papias dépend en grande partie de celle qu'il

INTRODUCTION 47

faut reconnaître à Jean l'Ancien . Si ce personnage étaitTapôtre Jean, tilsde Zéi)édée, le compagnon de Pierre et de Matlhieu, il aurait été bien ren- seigné sur les actes et sur la prédication de Jésus; il aurait pu apprécier la valeur et le ca- ractère des deux Evangiles dont il parle. Mais Jean l'Ancien, d'après Papias lui-même, n'était pas l'apôtre Jean, et il paraît certain qu'il n'était pas disciple du Christ, mais des apôtres, un des convertis palestiniens de la première heure, un docteur chrétien que Papias n'a probablement pas entendu, et dont il redit les propos d'après les hommes de la seconde génération chrétienne, instruits par les disciples des apôtres. Gela étant, les assertions de Jean l'Ancien ne sont pas à recevoir sans autre examen.

Dans la notice de Marc, la citation de Jean l'Ancien comprend seulement les indications du début, la suite (depuis : Car il n'avait pas entendu le Seigneur) étant une explication de Pa- pias, qui semble seréféreràcequelui-mêmea dire auparavant touchant les rapports de Marc avec Pierre. Ce Marc n'avait jamais été disciple de Jésus; il avait suivi Pierre « à la fin ». Papias aurait-il donc dit plus haut que Marc avait suivi Paul pour commencer ? Marc serait devenu interprète de Pierre, ce qui ne peut s'entendre que d'une relation personnelle : il y

48 L "ÉVANGILE SELON MAKC

aurait plus que de la subtilité à soutenir que Marc n'aurait été l'interprète de Pierre qu'au sens le plus larg"e. en mettant par écrit dans son Evangile lasubstancede ce que l'apôtre avait prê- ché. II est sous-entendu que Pierre prêchait « en dialecte hébraïque », comme écrivait Matthieu. xMarclui aurait servi de truchement quand Pierre porta l'Evangile hors de Palestine, et Ion peut croire que Papias a en vue spécialement le séjour de Pierre à Home. L'Évangile de Marc représenterait ses souvenirs, ce qu'il avait dit d'après Pierre quand il l'assistait dans sa pré- dication. Cette circonstance expliquerait le manque d'ordre qui est sensible dans son ou- vrage : Pierre n'exposait pas avec suite l'his- toire et l'enseignement de Jésus; il faisait des catéchèses particulières que Marc a simplement et fidèlement conservées. Il est naturel de sup- poser que Marô aura écrit après la mort de Pierre, bien que ni Jean l'Ancien ni Papias ne le disent expressément.

L'un et l'autre font l'éloge ou l'apologie de Marc en tenant compte d'une situation que la critique est réduite à conjecturer. 11 s'agit à la fois de recommander le livre et d'expliquer les défauts qu'on lui trouve. Pour ce qui est de l'Évangile, on peut s'y fier, car il est d'un homme qui avait suivi Pierre et qui répète avec

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la plus grande exactitude ce qu'il avait entendu. Sans doute l'Evangile est grec, et l'on suppose que Pierre s'exprimait difficilement en cette langue; mais le livre est comme une traduction des discours de l'apôtre ; rien ne se peut con- cevoir de plus autorisé ; il aurait pu avoir une meilleure disposition, mais cette circonstance même est une marque de fidélité.

Une critique tant soit peu sérieuse a pourtant le droit de demander pourquoi Jean l'Ancien parait avoir été seul à savoir des choses qui, si elles étaient vraies, auraient être de noto- riété publique; pourquoi il éprouve le besoin de dire que Marc a été si exact ; pourquoi il veut que l'Evangile ne soit pas autre chose que la rédaction des catéchèses de Pierre. Singulières catéchèses, en vérité! On admet généralement aujourd'hui que Jean et Papias parlent de notre second Evangile. Mais ce livre n'est pas du tout ce que disent Jean et Papias : ce n'est pas une œuvre homogène, comme il devrait être s'il représentait les souvenirs et la prédication d'un seul apôtre; ce n'est pas la transcription d'un témoignage original et direct louchant l'ensei- gnement et la carrière de Jésus ; ce n'est pas l'écrit d'un homme spécialement attaché à Pierre et qui tiendrait de l'apôtre lui-même tout ce qu'il raconte à son sujet. Inutile d'ajouter

50 LKVANGILE SELON MAHC

que l'explication donnée du prétendu manque dordre de Marc ne rend pas compte de la con- fusion qui existe réellement dans l'Évangile. Entendue selon le sens naturel qu elle présente, la notice est fausse.

La bonne foi de Papias n'est pas en cause : Papias répèle. Le personnage énigrautique de Jean l'Ancien échappe aux prises do la critique. Ses dits auront élé transmis à Papias par les personnages que nomme lî'énée, « les anciens qui avaient connu Jean et les apôtres d'Asie », cest-à-dire \v groupe éphésien qui a aulhentiqué le quatrième Kvangile et (jui parait avoir joué un rôle assez considérable dans la constitution du recueil évangélique. L'Anciendit parleur bouche les choses les plus avantageuses à un Evangile de l'Eglise, et peut-être les Jit-il de façon à ménager l'autorité de l'Evangile johannique. l'on trouve une disposition plus régulière, une chronologie plus précise. Ce qu'on entend ici par « ordre » est surtout une bonne distribution des matières, et, pour Jean l'Ancien, Luc aussi aurait eu plus dordre que Marc. Mais le dernier mot de la notice paraît devoir être cherché dans son parallélisme avec celle de Matthieu. On veut recommander les deux écrits de la même manière : dans des conditions différentes, ce sont des traductions de l'araméen, pour mettre en

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grec les souvenir? parfaitement authentiques de deux apôtres. Or le premier Evangile, Marc est entré presque toutentier, n'est pas une traduction de l'araméen, ni Tœnvred'un apôtre. Tout au plus est-on fondé à supposer qu'une de ses sources, le recueil de discours, a été rédigée d'abord en araméen, comme il n'est pas impossible que le document fondamental de Marc l'ait été. Mais iJean l'Ancien et Papias ne l'entendent pas ainsi. Le témoignage prêtéà Jean l'Ancien concerne nos Évangiles tels qu'on les lisait vers 120-140; il tend à justifier une situation de fait, le crédit acquis et que Ion voulait conserver à des livres sur l'origine desquels on n'était pas suffisamment renseigné. Au second Evangile on associait le nom de Marc, et ce xMarc, qui avait été le com- pagnon de Paul, on tenait surtout à ce qu'il fût regardé comme compagnon de Pierre, dont l'au- torité pouvait sembler préférable à celle de Paul pour la garantie des souvenirs évangéliques, à 'moins que le nom de Paul ne servit déjà de recommandation à Luc et qu'on n'ait été ainsi amené à utiliser de préférence pour Marc le prestige de Pierre. En réalité, le troisième Evan- gile ne tient pas de plus près à Paul que le second, et l'on peut même trouver qu'il a moins directement subi l'influence de l'Apôtre des Gentils.

52 l'évangile selon marc

Le rapport institué entre Pierre et le second Evangile semble attester surtout un fait de carac- tère moins précis que la composition du livre : l'Evangile dit de Marc est l'ancien Evangile de la communauté romaine ; c'est pour elle d'abord qu'il a été écrit; c'est par elle qu'il s'est con- servé, qu'il s'est répandu, qu'il s'est imposé. Car, sans cette puissante recommandation, il aurait probablement disparu, au cours du second siècle, éclipsé par les Evangiles plus complets de Mattliieu et de Luc. Il avait été composé pour l'Eglise romaine à une époque le sou- venir de Paul primait encore celui de Pierre; il était aux mains de cette Eglise lorsque le pres- tige de Pierre y grandit et qu'elle commença de l'utiliser à son profit. C'est pourquoi l'Evangile romain fut l'Evangile de Pierre; mais, comme on ne pouVait guère l'attribuer à l'apôtre lui- même, on l'attribua à l'un de ses disciples. La mention de Marc dans la première Epître dite de Pierre pourrait n'être pas sans rapport avec cette attribution du second Evangile. En tous cas, les légendes d'origine apostolique pour les quatre Evangiles du canon semblent nées dans les cir- constances mêmes qui amenèrent la constitution de celui-ci; les livres des principales commu- nautés formèrent le recueil, et on leur trouva des titres de recommandation. Pour faire accep-

INTRODUCTION 53

ter de l'Eglise romaine l'Evangile éphésien dit de Jean, Ton y joignit l'appendice qui relève Pierre au-dessus du disciple bien-aimé, et l'on identifia en même temps ce disciple à l'auteur de l'Evangile et à l'apôtre Jean, fils de Zébédée. 11 est fort possible que l'on ait fait agréer de même l'Evangile roaiain dit de Marc aux Eglises d'Asie, en proclamant que ce livre représentait la tradition de Pierre, écrite par un de ses dis- ciples. Par la même occasion, la grande Eglise autorisait contre les hérétiques les livres oii elle reconnaissait sa propre tradition, elle se retrouvait elle-même, et qui avaient été d'abord accueillis pour ce motif, sans que l'on attribuât autrement d'importance aux conditions particu- lières de leur rédaction.

L'ÉVANGILE SELON MARC

I. ' Commencement de l'Évangile de Jésus- Christ, Fils de Dieu. - Selon qu'il est e'crit en Isaïe le prophète : « Voici que j'envoie mon ange devant toi, qui préparera ton chemin. ■^ Une voix crie dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur; rendez droits ses sentiers. »

Le commencement de l'Évangile est la prédica- tion de Jean-Baptisle, avec le baptême Jésus est déclaré Christ. On doit enlendre ici par «Évan- gile », non précisément le salut que Jésus annonçait, ni l'histoire du Christ, mais la proclamation du Messie venu, la relation de l'œuvre rédemptrice accomplie par Jésus prêchant, mourant et ressusci- tant. Les mots « fils de Dieu », dans la formule initiale, sont une explication du nom de Christ, au sens l'entend l'évangéliste.

Une combinaison rédactionnelle se trahit dans l'embarras du début. On annonce une citation d'isaïe, et c'est un passage de Malachie (ui, 1} qui se présente d'abord. Ce passage, qui est cité dans un autre contexte par Matthieu (xi, 10) et par Luc (vu, 27), à propos de Jean-Baptiste, aura été inséré après coup entre Tannonce de la citation d'isaïe et cette citation même. Celle-ci est d'ailleurs un cas unique dans le second Évangile, le narrateur

î>6 l.'ÉVANGII.K SKI, ON MABC

* Jean le Baptisant était dans le désert, prê- chant un baptême de pénitence pour la rémis- sion des péchés; ' et tout le pays de Judée

n'allègue jamais jiour son propre compte les paroles de l'Ancien Testament ; elle vient en surcharge et ne se lie pas bien au récit, (pTclle glose par anticipation.

On lit dans Malachie : « Voici (pic j'envoie mon messager, et il préparera la voie devant moi. » C'est lahvé (pii parle, il ne s'agit ni de Jésus, ni de Jean-Bajitiste, et le texte a été modifié pours'adap- ler au rôle (jue l'on prête à Jean vis-à-vis de Jésus. Dans Isaïe (xl, 3), la traduction littérale de l'hé- breu serait : « Une voix crie : Préparez dans le désert le chemin de lahvé; tracez dans la solitude une route pour notre Dieu. » Le désert en (piestion est le désert de Syrie. Le chemin qu'il faut prépa- rer est celui (jue les Juifs, captifs à Babylone, pren- dront pour regagner leurs pays sous la conduite et la protection de leur Dieu. La voix qui crie est le prophète lui-môme. L'auteur n'avait en vue ni le Messie ni son Précurseur. Mais la traduction des Septante, oîi le désert n'est mentionné qu'une fois, a déterminé l'application de ces paroles à Jean- Baptiste, et l'on a conclu que la prophétie ne se rapportait pas seulement à sa prédication, mais au lieu il prêchait. On a vu dans « le Seigneur» (lahvé) le Christ, et, pour la facilité de l'applica- tion, on a lu « ses sentiers» dans le second membre de la citation, au lieu des « sentiers de notre

COMMENTAIRE 0/

venait à lui, ainsi que tous les liabitants de Jéru- salem, et ils étaient baptisés dans le fleuve Jourdain, en confessant leurs péchés. '^ Et Jean

Dieu ». Car, si Ion était accoutumé à donner au Christ le nom de Seigneur, on ne songeait pas encore à l'identifier simplement à Dieu.

Le déserl Jean a prêché est le désert de Juda, à l'ouest de la mer .Morte, et spécialement la région voisine de Jéricho, vers l'embouchure du Jourdain. Les détails donnés sur son costume rappellent avec intention ce que l'Ecriture disait de celui d'Elie (Il Ro[s, I, 8; cf. Zach., xiv, 4). Le désert lui four- nissait sa nourriture : certaines espèces de saute- relles qui servent encore aujourd hui à l'alimenta- tion des pauvres, et du miel sauvage, soit la gomme qui s'échappe de certains arbustes par les fissures de l'écorce, et que quelques auteurs ont ainsi appelée, soit le miel déposé par les abeilles dans les troncs d'arbres et les fentes des rochers, comme l'entendent la plupart des commentateurs.

Jean prêchait un baptême de pénitence pour la rémission des péchés. Le baptême, pratiqué par immersion dans le Jourdain, était le symbole de la purification morale par le repentir et le change- ment de vie. Les ablutions et les bains étaient prescrits en diverses circonstances par la Loi mosaïque, et la coutume des pharisiens en avait encore étendu l'usage, auquel restait attaché un sens religieux; ce qu'il y avait de nouveau dans le baptême de Jean était donc seulement la significa-

58 I.'ÉVANGILF, SRLON MARC

était vôtu de poils de ciiaiiieau et dune ceinture de cuir autour des reins; il vivait de saute- relles et de miel sauvage.

Et il prêchait, disant : « Le plus fort que moi vient derrière moi, 'lui) dont je ne suis

lion spéciale (jui lui ('lail donnée. Le baptême des prosélytes, qui marquait ou opérait la purification des souillures païennes, avait un sens analogue. Ce qui est dit de l'aveu des péchés s'entend évidem- ment d'une confession libre, publique et d'un ca- ractère général. Le tout, prédication de .Jean, repentir et baplème, est coordonné au prochain jugement de Dieu. C'est ce jugement que Jean déclare imminent ; c'est en vue de ce jugement qu'il faut se repentir, et que l'on se plonge dans le Jourdain, poui- être trouvé pur quand Dieu viendra.

Si le jugement est proche, le Messie doit être également prêt d'arriver. La tradition évangélique a voulu que Jean ait annoncé cet avènement. Il aurait parlé d'un plus fort que lui, qui aurait été le Messie, et il se serait déclaré son serviteur très humble, un esclave à peine digne de lui rendre le plus bas office, dénouer la courroie de ses san- dales. Jean avouerait n'avoir baptisé (ju'avec de l'eau, appliquant un rite inefficace par lui-même et purement symbolique, tandis que le Messie vien- drait baptiser avec de l'Esprit saint, régénérant les hommes par la vertu de Dieu.

COMMENTAIRE 59

pas digne de dénouer, en me baissant, le cordon de souliers; ^ moi, je vous ai baptisés d'eau, mais lui vous baptisera d'Esprit saint. »

Ces propos de Jean contiennent un parallèle, à tout le moins prématuré, entre le baptême que nous pouvons appeler de purification, et le baptême chrétien, ou de sanctification, par lequel on parti- cipe à l'Esprit divin et à ses dons. Mais Matthieu (m, 11) et Luc ni, 16), parlant ici d'Esprit saint et de feu, orientent le critique vers l'antithèse que Jean a réellement établie : ou le baptême d'eau pour le repentir, ou le baptême de feu pour le châtiment. Ce dernier et terrible baptême n'est pas autre chose que le jugement de Dieu sur les pécheurs, et le Messie n'y intervient pas. Marc, pour l'adap- tation de ce qu'il trouvait écrit sur l'enseignement de Jean, a substitué l'Esprit saint au feu, et les deux autres Synoptiques, dépendant de la même source et ne voulant ni en sacrifier la donnée authentique ni renoncer à l'idée si avantageuse de leur devancier, ont fait dire à Jean que le Christ baptiserait dans l'Esprit et dans le feu. Jean n'avait pas songé au baptême chrétien. On peut douter même qu'il ait parlé du Messie, attendu que « le fort, qui vient derrière » lui pour le baptême de feu doit être Dieu lui-même. En tout cas, le rôle histo- rique de Jean-Baptiste apparaît faussé dans la perspective chrétienne on l'a voulu faire entrer.

60 l'évangile si:lo> marc

^ Et il arriva en ce temps-là ^que) Jésus vint de Nazareth en Galilée, et il fut baptisé dans le

Sur les rapports qui auraient pu exister entre Jean et Jésus, Marc ne sait rien, si ce n'est que Jésus serait venu de Nazareth au Jourdain et y aurait été baptisé par Jean. Le fait en lui-même n'a rien d'in- vraisemblable. Ce qui peut le rendre suspect est que lévangélisle paraît en ignorer toutes les cir- conslances, sauf un prodige dont on peut bien dire que Tatleslalion est nulle, et dont le sens est par ailleurs assez clair pour que l'hypothèse d'une fic- tion se présente d'elle-même. Il est au moins sin- gulier que le narrateur se trouve savoir en détail ce qui se passe aussitôt après le baptême, et qu'il n'ait absolument rien à dire sur les préliminaires et les conditions du fait. Il connaît une seule chose, d'ailleurs invérifiable : que, dans cette occasion, Jésus a été « sacré par l'Esprit et la vertu de Dieu » (AcT., X, 38 . El ce qu'il veut faire entendre est en rapport avec l'intrusion du Itaplême d'esprit dans le discours de Jean : il veut signifier que Jésus a reçu, lui premier, le baptême de l'Esprit. Ce bap- tême rejoint le baptême d'eau, en sorte que Jésus ne reçoit pas réellement le baptême de Jean, l'eau sans l'Esprit, mais le vrai baptême, l'Esprit avec l'eau. L'évangéliste, en exposant le mystère du Christ, le mystère qu'il faut croire, a donc eu soin de montrer d'abord un acte qui préfigure et pré- pare le premier acte du mystère dont vit le croyant, c'est-à-dire l'initiation baptismale. L'Esprit investit

COMMENTAIRE 61

Jourdain par Jean; "^' et à l'instant oîi il sortait de l'eau, il vit les cie'ux ouverts et l'Esprit,

et consacre Jésus pour sa fonction, et en même temps il consacre l'eau pour la régénération des fidèles.

Telles sont les préoccupations du narrateur, tra- duites en récit. Il serait fort imprudent de les con- vertir en tradition historique. On peut croire cependant que Tinterprétation chrétienne du rôle de Jean-Baptiste a été greffée sur un fait, le bap- tême de Jésus par Jean, et la conscience que Jésus aurait prise alors de sa vocation. Mais la réalité de ce fait ne s'impose pas, les récits du baptême et de la tentation étant aussi mal reliés que possible, comme on va le voir, aux débuts de la prédication galiléenne. Les premiers missionnaires du Christ ont été gênés dans leur propagande par les secta- teurs et par le souvenir du Baptiste : pour surmon- ter la difficulté, ils ont fait de Jean le précurseur de Jésus, et ils ont présenté le baptême chrétien comme une institution indépendante, manifestée à l'occasion du baptême du Christ par son précurseur.

Dans l'instant même il sortait du Jourdain, Jésus aurait eu une vision : la voûte céleste lui avait paru s'ouvrir, et l'Esprit divin était descendu d'en haut, sous une apparence sensible, comme une colombe, pour venir à lui ; en même temps, il avait entendu la voix de Dieu qui l'appelait son fils et son élu, c'est-à-dire son Christ. Le baptême, sacre- ment de l'initiation chrétienne, était le rite de l'illu-

62 l/ÉVANCILE SELON MARC

comme une colombe, descendant sur lui ; " et une voix (vint/ des cieux : « Tu es mon fils bien-aime', en loi je me complais. »

'- Et aussitôt l'Esprit le poussa au désert;

minalion, de la révélalion, Ion recevait la pro- messe et des gages sensibles du salut, comme dans les mystères païens : c'est pourquoi le baptême de Jésus esl comme la révélation du Christ, faite à lui- même par ri'lspril et par Dieu. Le ciel s'ouvre pour le passage de l'Esprit. La tradition rabbiniquc (ompaiait à une colombe l'Esprit qui planait sur les eaux avant la ci'éation; la même colombe, le même Esprit créateur, vient féconder les eaux ba[)- tismales. Les paroles du Père céleste s'adressent à Jésus, pour qui seul est la vision; elles sont em- pruntées au Psaume ii (v. 7j : « Tu es mon jfîls, je t'ai engendré aujourd'hui », et à Isaie (xl, 1) : '< Voici mon serviteur, que je prends, mon élu, en (jui mon ame se complaît ; je mets mon esprit sur lui. » Toute cette vision étant présentée comme objective, Jean aussi aurait voir les cieux s'ou- vrir, et la colombe descendre; il aurait entendu la déclaration du Père céleste. Mais l'évangéliste parle comme s'il avait conscience de décrire une scène qu'aucun témoin jamais n'a racontée.

Au tableau de la consécration messianique par le baptême auprès de Jean fait pendant le tableau

COMMENTAIRE 63

13 et il fut dans le désert pendant quarante

delà tentation messianique par Satan au désert. Les deux forment une sorte de préambule, théolo- gique et de convention, à la carrière historique de Jésus. Le récit de la tentation paraît abrégé dans Marc, lorsqu'on le compare à Matthieu et à Luc; il est cependant complet en lui-même, et si l'on peut dire que la tradition dont procède le second Evan- gile a se représenter les agressions diaboliques sous une forme concrète, plus ou moins analogue à ce qu'on lit dans les deux autres Synoptiques, il est moins évident que Marc dépende uniquement de la même source écrite que ceux-ci. Tous les traits de sa description sont originaux et frappants. L'Esprit « pousse » Jésus au désert, comme si le Christ était désormais en la puissance de cet Esprit qu'il vient de recevoir, et qu'il fût par lui comme par une force distincte et irrésistible. Il reste dans la solitude pendant quarante jours, et ces quarante jours correspondent aux quarante années du séjour d'Israël dans la péninsule du Sinaï, aux quarante jours de jeûne attribués par l'Écriture à Moïse (Ex., xxxiv, 28) et à Élie (I Rois, xix, 8) sur la montagne du Seigneur. Sans doute il convenait que le Messie fût mis à l'épreuve comme jadis le peuple de Dieu, et comme ces deux grands ancêtres, qui apparaîtront en témoins du Christ dans le récit de la transfiguration. Le désert étant censé le séjour des démons. l'Esprit pousse Jésus au désert afin qu'il y rencontre Satan. La

64 l/ÉVANGILE SELON M.\RC

jours, tenté par Satan; il était avec les bêtes, et les anges le servaient.

naïveté de la mise en scène inviterait à supposer que l'évangéliste n'entend pas seulement par tenta- tion diabolique les suggestions mauvaises, mais encore tous les procédés fâcheux dont Satan est capable d'user envers les amis de Dieu, quand celui-ci le permet, des épreuves comme celles qu'ont connues certains dieux ou héros de la my- thologie antique. Jésus, observe Tévangélisle, « était avec les bètes », c'est-à-dire n'avait d'autre compagnie que celle des animaux sauvages, et il était dénué de tout secours humain; mais son Père céleste ne rabamlonnait pas et lui envoyait des anges pour le servir. L'assistance des anges, comme l'obsession de Satan, s'étend à la durée des quarante jours.

Il était admis que le Messie, dans son avènement glorieux, devait vaincre Satan. Mais cette victoire finale, que le christianisme primitif attendait avec la parousie, la manifestation triomphale du Fils de Dieu, avait été précédée d'une défaite apparente l'esprit du mal avait semblé l'emporter. Il con- venait que cette défaite, réparée d'ailleurs par la résurrection de Jésus, fût corrigée aussi par l'anti- cipation de la gloire messianique dans la carrière terrestre du Christ. Jésus lui-même pensait prouver parle succès de ses exorcismes que Satan était déjà vaincu. La consécration messianique étant reportée avant la prédication de l'Évangile, il

COMMENTAIRE 65

'^ Et après que Jean eut été emprisonné, Jésus vint en Galilée, prêchant l'Evangile de

était naturel de placer aussi avant ce ministère une première lutte symbolique, prélude soit de la lutte que Jésus, dans savieetdanssamort, devait soutenir contre le Malin, soit du combat définitif entre le Messie glorieux et l'esprit de ténèbres, le grand adversaire de Dieu. L'évangéliste paraît concevoir celte joute préliminaire comme une épreuve inévi- table, non qu'il l'ait jugée telle en se plaçant, comme beaucoup de critiques modernes, au point de vue psychologique, mais parce que, le Christ venant pour détruire le règne de Satan, Satan n'a pu manquer de l'attaquer dès l'abord : le Christ débute dans son œuvre rédemptrice en se défen- dant contre l'ennemi. Encore est-il que l'évangé- liste est ici plus préoccupé de la lutte que son résultat, la ruine de Satan n'ayant été pleinement assurée que par la résurrection de Jésus. Le séjour au désert et le drame intérieur qu'on y suppose volontiers sont donc choses possibles, comme le baptême de Jésus par Jean: mais nul témoignage authentique ne les garantit comme faits initiaux de la carrière du Christ.

Le désert se passe la tentation n'est point lo- calisé, soit parce que la pensée du lecteur doit s'orienter vers les souvenirs concernant l'exode

66 F.ÉVANGILK SKLON MABC

Dieu : '' « Le temps est accompli, et le règne

et Klie, soit parce que la tradition évang^éjique n'avait aucune indication précise sur le sujet. Rien de i)lus vai^ue aussi que la transition par laquelle Marc introduit les premiers actes de Jésus prédica- teur du rt'ij^ne de Dieu. Il faut bien amener Jésus en Galilée, puisque c'est qu'il a prêché; et comme on a mis le Christ en relation avec Jean, il faut aussi maniuer un rapport quelconque entre la prédication de l'Evangile et celle du Baptiste. L'évangéliste sait, ou croit savoir, en tout cas, il tient à dire que Jean ne prêchait plus lorsque Jésus se mit à enseigner. Il paraît, en effet, certain que la prédication du P>aplislea précédé celle de Jésus; mais Marc a intérêt à le noter, parce qu'il ne pou- vait encore avoir l'audace, qu'a eue le quatrième Évangile, de }>i'ésenter Jean lui-même comme le grand témoin du Christ. Voilà pourquoi, « après que Jean eut été livré », soit jeté en prison, soit aban- donné par Dieu aux mains d'Hérode Antipas (cf. I Cor., XI, 23). « Jésus vint >», d'un désert impossible à situer géographiquement, « en Galilée ». Il s'agit beaucoup moins d'un voyage réel que d'une for- mule de liaison.

Et tout en cheminant, Jésus « prêchait 1 Evan- gile de Dieu ->. Mais celle indication ne signifie pas que le Christ ait prêché déjà l'Évangile avant d'être arrivé en Galilée. « L'Évangile de Dieu », l'annonce direcle du royaume céleste, s'oppose au baptême de repentance que prêchait Jean. Il se peut que

COMMENTAIRE 67

de Dieu est proche ; convertissez-vous et croyez à l'Evangile. »

'^ Et en passant le long de la mer de Galilée,

rassertion : « le temps est accompli », ne vise pas seulement en général le temps fixé par la Provi- dence pour la venue du royaume, mais se réfère directement au message du Baptiste et à ce que celui-ci a dit ])lus haut, du Fort qui doit venir après lui. De l'imminence du royaume se déduisent deux conclusions: il faut faire pénitence. et il faut croire à la bonne nouvelle du salut prochain. La péni- tence était dans le programme de Jean, mais la foi appartient à celui de Jésus. L'on doit attribuer au dernier rédacteur de l'Évangile ce résumé, qui n'est pas à prendre pour une prédication particu- lière, antérieure à la vocation des disciples, mais pour le thème général de l'enseignement du Christ pendant son ministère galiléen, tout au moins pen- dant la première période de ce ministère, jusqu'au discours des paraboles. Le récit de la vocation des disciples ne se rattache pas à cette prédica- tion, mais à l'indication qui la précède, touchant l'arrivée de Jésus en Galilée.

La vocation des premiers disciples est un fait suffisamment précis et consistant. La tradition savait que deux couples de frères s'étaient joints à Jésus dès le commencement de sa prédication, et l'on racontait leur vocation comme une sorte de miracle. Dans sa forme, le récit de Marc trahit l'influence de l'histoire d'Elisée subitement appelé

68 l'évangile selon marc

il vit Simon et André, frère de Simon, qui

jetaient le filet dans la mer, car ils étaient

pêcheurs. '" Kt Jésus leur dit : « Venez à

ma suite, et je vous ferai devenir pêcheurs

par Élie (I Rois, xix, 19-21). Mais ce serait mécon- naître l'état d'esprit des pécheurs galiléens et le genre d'action exercée par Jésus que de juger de pareilles conversions impossibles sans beaucoup de discours et de raisonnements. La parole: « Suivez- moi », n' a pas été dite sans autre préambule, et elle a été la conclusion d'un entretien; mais il n'est pas nécessaire que cet entrelien ait été long, et il n'est pas invraisemblable qu'il ail été le premier. La pensée du royaume céleste n'était pas nouvelle pour ces Israélites; l'apparition d'un prédicateur inspiré n'avait rien de déconcertant pour eux; Jésus put les gagner en quelques instants par le charme et l'autorité de sa parole. Ajoutons que, s'ils quit- taient tout, ils n'abandonnaient presque rien, que leur adieu aux barques et aux filets était moins absolu que lévangéliste ne paraît le dire : c'est leur fidélité ultérieure qui a permis de le présenter ici comme définitif.

Jésus est censé longer la rive occidentale du lac de Tibériade, non loin de Capharnaûm ; dans la perspective artificielle du récit, il remonte du sud au nord, venant du désert. Il voit doux pêcheurs, deux frères, appelés Simon et André, qui jetaient le tiiel dans la mer; il les invile à le suivre, pro-

COMMENTAIRE 69

d'hommes. » '*^ Et aussitôt, laissant les filets, ils le suivirent. '^ Et s'étant avancé un peu plus loin, il vit Jacques de Zébede'e, et Jean son frère, qui étaient aussi dans la barque, raccom- modant les filets, '" et aussitôt il les appela;

mettant de faire d'eux plus lard des pêcheurs d'hommes. Le narrateur a en vue les scènes de la prédication apostolique après la mort du Christ, plutôt que la seconde vocation dont il sera parlé plus loin (ni, 13-19) et qui est supposée avoir élevé du rang de simples disciples à celui d'apôtres les premiers convertis de Jésus. La métaphore des pêcheurs d'hommes n'a sa pleine signification que dans la perspective de l'évangéliste, et l'on peut douter quelle remonte au Christ lui-même.

Les deux autres frères que Jésus est supposé trouver le même jour, dans la même occasion, en avanç^-ant un peu le long du rivage, étaient Jacques et Jean, fils de Zébédée. Ils se tenaient dans une barque avec Zébédée leur père, occupés à raccom- moder leurs filets. Le Christ les appelle aussitôt, comme les précédents, et eux aussi le suivent sans hésitation. L'évangéliste a soiu de noter que les fils de Zébédée laissèrent celui-ci dans la barque avec les mercenaires : Zébédée ne restait pas seul et pouvait continuer à pécher; toutefois, ce que l'évangéliste veut mettre en relief est le renonce- ment absolu de ces fils, qui obéissent à Jésus sans plus s'inquiéter de pêche, de barque, ni même de

70 l'évangile SELftN MARC

et laissciul leur père Zébédée dans la barque avec les mercenaires, ils s'en allèrent à sa suite.

■*' Et ils entrèrent à Capharnaûm; et aussitôt il enseigna, le jour du sabbat, dans la syna- gogue ; " et l'on était surpris de son enseigne- ment, car il les instruisait comme ayant auto- père. (>'esl la loi de l'tvangile (Matth., viii, 21-22) qu'on montre ici appliquée en toute perfection. Mais il va une jjart do convenu dans ce belexemple.

En inlerprétant à la rigueur les indications de Mare, Ion jtourrait croire que la vocation des dis- ciples, l'entrée de Jésus à Capbarnaûm et la prédi- cation dans la synagogue de cette ville ont eu lieu le même jour. Mais le rapport chronologique des anecdotes n'est pas aussi étroit qu'il paraît. La pre- mière prédication à Capharnaûm eut lieu un jour de sabbat; le jour les disciples ont été appelés n'élait pas un samedi, puisqu'ils étaient à leur tra- vail. Jésus aura prêché dans la synagogue de Ca- pharnaûm le premier jour de sabbat qui a suivi son arrivée dans cette localité.

Dès ce début, les gens du lieu sont grandement surpris de ce que Jésus leur fait entendre; mais il semble que, pour cette fois, l'on ait été plus frappé encore de sa manière que de sa doctrine. Il parlait

COMMENTAIRE

71

rite, et non pas comme lesscribes.'^ Et justement il y avait dans leur synagogue un homme en esprit impur, et il cria, -"' disant : « Qu'y a-i-il entre nous et toi, Jésus de Nazareth? Viens- tu nous perdre ? Je sais qui tu es : le saint

« comme ayant pouvoir », avec l'assurance que lui donnait sa mission, et avec une éloquence qui jail- lissait du cœur, non pas à la façon des « scribes » ou docteurs de la Loi, qui alléguaient l'autorité des maîtres plus anciens et commentaient minutieuse- ment les textes sacrés, avec abondance de distinc- tions et subtilités scolastiques.

L'histoire de la guérison du possédé parait sura- joutée au récit concernant la prédication, l'un sui- vant l'autre sans qu'il y ait connexion réelle entre les deux, et ce cju'on dit de l'impression produite par le miracle semblant combiné artificiellement avec ce qu'on rapporte de l'impression produite par l'enseignement. Le miracle pourrait donc avoir été introduit par révangéliste,à raison de l'importance qu'il attribue au témoignage des démoniaques, pour montrer dès l'abord Satan vaincu par Jésus et saluant son vainqueur. Cette histoire de possédé serait secondaire par rapport à celle du possédé de Gérasa (v, l-20j, et la confession du démoniaque aurait été imitée de ce dernier récit.

Il y aurait eu, dans la synagogue de Capharnaûm, M un homme en esprit impur «, c'est-à-dire qui se croyait et que l'on croyait livré au pouvoir d'un

72 l'kvanoh.e selon marc

de Dieu. » '-''' Et Jésus le menaça : « Tais-toi, et sors de lui. » '-" El l'esprit impur, le secouant et poussant un grand cri, sortit de lui. -' Et tous furent saisis d'étonnement, en sorte qu'ils s'interrogeaient, disant : « Qu'est ceci ? Une

démon : un possédé relativement calme, dont les crises n'étaient ni très fréquentes ni très violentes, puisqu'(jn le Inissail prendre part aux exercices de la communauté. Impressionné par les discours vibrants du nouveau prédicateur, cet homme inter- rompt tout à coup Jésus en l'appelant par son nom ; et comme il s'identifie au démon qui est en lui, il parle pour ce démon et pour tous les démons. Les esprits sont déjà inquiets et se demandent si l'heure est venue pour eux d'être précipités dans les enfers ; chose plus extraordinaire, ils savent que Jésus est u le saint de Dieu ». celui que le Seigneur a con- sacré pour la plus haute mission, c'est-à-dire le Christ, qui doit détruire l'empire des démons. De son côté, Jésus n'est aucunement surpris de cette rencontre. Conscient de sa vocation, qui le prédes- tine à vaincre Satan, il n'hésite pas à prendre envers l'esprit le ton d'un maître qu'on doit obéir; il ordonne vivement au démon de se taire (puisque c'est lui qui est censé parler dans l'homme) et de laisser sa victime. Le malade estsaisi d'une convul- sion violente et s'agite avec des cris affreux : c'est le démon irrité qui le tourmente avant de le quitter. Puis l'homme devient calme et de bon sens : le

COMMENTAIRE iO

doctrine nouvelle par l'autorité ! Même il com- mande aux esprits impurs, et ils lui obéissent! » '"^ Et sa renommée se répandit aussitôt de toutes parts, dans tous les alentours en Galilée.

démon est parti. Grand émoi de l'assistance, qui admire maintenant les deux choses extraordinaires dont elle a été témoin : un enseignement d'une autorité inouïe, et ce pouvoir si grand sur les mau- vais esprits. A la suite de cette alïaire, la renommée du prédicateur thaumaturge se répand dans cette région de la Galilée. La messianilé de Jésus serait ainsi prouvée dès l'abord par la puissance de sa parole et par le témoignage exprès du démon.

Ce témoignage n'en est pas moins présenté en des conditions fort singulières. L'esprit parle, proclamant que Jésus est le Christ. Jésus le fait taire, parce qu'il ne veut pas qu'on sache qu'il est le Messie. L'évangéliste ne se lassera pas de faire parler ainsi les démons et de leur faire imposer silence par Jésus ; et personne jamais ne s'avisera d'entendre ce que proclament les démons.

En multipliant les déclarations messianiques des possédés, l'évangéliste oublie d'expliquer comment il se fait que nul ne semble les remarquer, et que les disciples aussi bien que le peuple ne se soient pas avisés plus tôt que Jésus était le Christ. Le té- moignage des démons ne semble exister que pour les lecteurs de l'Évangile. Autant dire qu'il a été conçu pour eux, et que si les récits de possédés ont un fondement incontestable dans l'histoire

74 l'évangile selon marc

~^Et aussitôt sortis de la synagogue, ils vinrent à la maison de Simon et d'André, avec Jacques et Jean ; ^'^ et la belle-mère de Simon était couchée,

évangélique, ce (ju'on en rapporte ici doit être, en partie, illusoire et fictil.

Dès qu'ils sont sortis de la synagogue, Jésus et ses compagnons si' rendent à la maison de Simon et d'André, qui. on doit le supposer, résidaient à Capharnaum. On dirait que Jésus y vient pour la première fois. Ou bien il a passé ailleurs la nuit pré- cédente, ou bien l'évangéliste, n'attachant aucune importance aux détails qui ne .serviraient en rien sa démonstration, relie entre eux assez librement les faits qu'il veut' mettre en valeur. L'évangéliste tient à dire que cette maison était celle de Simon et d'André, et à rappeler la présence des deux autres disciples. De cette phrase singulière : « Ils », c'est-à-dire Jésus et les quatre disciples, " vinrent à la maison de Simon et d'André », deux de ceux qui viennent, *< avec Jacques et Jean », les deux autres compagnons de Jésus. La singularité de la tournure favorise l'idée d'une combinaison rédactionnelle qui aurait induit le rédacteur à répéter les noms de tous les disciples. Il est clair que Simon et André avaient offert l'hospitalité à Jésus, et que Jacques et Jean ne le quittaient pas; du moins

COMMENTAIRE 75

ayant la fièvre, el dès l'abord ils lui parlèrent d'elle; ^' et s'étant approché, il la fit lever en la prenant par la main; la fièvre la quitta, et elle les servit.

l'évangéliste veut-il qu'on l'entende ainsi. On apprend que Simon était marié, ou l'avait été ; sa belle-mère était chez lui, exerçant les fonctions de maîtresse de maison. Ce jour-là, elle était malade, ayant la fièvre. Les fièvres paludéennes sont, paraît- il, assez fréquentes aux environs du lac de Tibé- riade et peuvent aisément devenir dangereuses. La fièvre dont il s'agit était-elle une maladie chronique ou un accès passager, le narrateur ne le dit pas. Les disciples, c'est-à-dire Simon et André, parlent tout naturellement à Jésus de la malade, non pour l'excuser sur son indisposition, qui fempêche de rendre ses devoirs à leur hôte, mais pour exprimer discrètement leur désir, (qu'ils s'avouent à peine à eux-mêmes, de voir Jésus lui venir en aide. Jésus s'approche de la gisante pour la saluer, et il lui prend la main en l'aidant à se lever ; elle est débar- rassée de sa fièvre et peut servir les visiteurs. Il n'est pas dit que Jésus ait manifesté l'intention de la guérir: c'est la salutation du Christ, l'impression puissante de sa personne, de sa voix et de son geste, qui ont rendu la santé à la belle-mère de Simon. Ce tout petit miracle, accompli sur une personne connue, pourrait être mieux garanti que le fait du possédé.

Tb i.'i':v\n<;m.i-: sf.ion maiu.

•'*' Et le soir venu, quand le soleil tut couché, on amenait vers lui tous les malades et les pos- sédés; 3-^ et toute la ville était rassemblée à la porte; ^^ il gucrit beaucoup de (gens) affligés de diverses maladies, et il chassa beaucoup de démons ; et il ne laissait pas parler les démons, parce qu'ils le connaissaient.

Sur le soir, les ii;-ens du lieu amènent tous leurs malades pour que Jésus les guérisse pareillement. Le jSabbal ne finissant qu'au coucher du soleil, on ne pouvait les amener plus tôt; car il n'était pas permis, ce "jour-là, de transporter un malade auprès du médecin, ni à celui-ci de le soigner, à moins qu'il n'y eût péril de mort. Le narrateur montre la maison comme assiégée par la foule, ainsi qu'il arrivera encore en d'autres circonstances. Il associe aux malades quantité de possédés. Peut-être n'y avait-il pas tant de fous à Capharnaûm. La préoc- cupation de l'évangéliste apparaît en ce qu'il dit du silence imposé aux démons, qui connaissaient le Christ. Bien qu'il ait fait amener à Jésus tous les malades et tous les possédés de Capharnaûm, le rédacteur se contente de dire que Jésus guérit beaucoup de malades et chassa beaucoup de démons. Cette nuance accuse un certain sentiment de la réalité : le pouvoir miraculeux de Jésus n'était pas sans limites, et il ne guérissait pas tous les sujets qu'on lui présentait.

Le récit donne à entendre que l'attitude des gens

COMMENTAIRE

77

^■' Et le malin, bien avant le jour, s'étant levé, il sortit et s'en alla en un lieu désert, oii il pria; ^'' et Simon courut après lui avec ses com- pagnons ; ^~ et il le trouvèrent et lui dirent ; « Tout le monde te cherche. » ^^ Et il leur dit: « Allons ailleurs, dans les bourgades voisines, pour que

de Gapharnaum a plutôt inquiété Jésus qu'elle ne Ta encouragé. Il était venu prêcher la pénitence, et l'on veut qu'il soit thaumaturge. Il prévoit que la surexcitation populaire ne sera pas calmée le len- demain, qu'on lui demandera de nouvelles guérisons et qu'on ne songera pas à se convertir, en sorte que son entreprise est exposée, dès le commencement, à dévier dans une fausse direction. Pour se dégager de cette première impasse, il se décide à partir au plus tôt; il a reçu l'hospitalité chez Simon, mais il n'y reste pas la nuit entière ; il sort, avant l'aurore, de la maison et de la ville, sans même avertir ses nouveaux disciples, et il se retire en un lieu désert pour prier, éprouvant sans doute le besoin de se recueillir devant Dieu. Mais, dès que Simon et les trois autres disciples ont constaté son absence, ils se mettent à sa poursuite et le rejoignent à l'endroit il s'était arrêté. Tout Gapharnaum était revenu dès le matin et avait été désappointé par son départ furtif; les disciples le lui disent, pensant le ramener par la raison même qui le fait s'éloigner. Au lieu de retourner vers ceux qui le demandent, il va s'éloigner davantage, pour se dérober à leni-

78 l'évangile selon marc

j'y prêche aussi, car c'est pour cela que je suis sorti. »

33 Et il s'en allait prêchant dans leurs syna- gogues, par toute la Galilée, et chassant les dénions.

^ Et un lépreux s'approcha de lui, le suppliant et fléchissant le genou, en lui disant: « Si tu veux, tu peux me puritier. » ^* Et touché de

pressemenl des (lapharnaïtes el porter l'Evangile ailleurs, dans les bourgs voisins; aussi bien est-ce dans celte inlenlioii qu'il était parti.

Le Christ fait dans ce canton de la Galilée ce qu'il avait fait à Capliarnaiim ; il prêche le jour du sabbat dans les synagogues el il chasse les démons. Marc insiste sur ce dernier point comme sur une partie essentielle du ministère évangélique. On dirait que, s'il faut en quelque sorte solliciter Jésus et lui faire violence pour les autres miracles, il se porte de lui-même à la guérison des possédés, parce que l'expulsion des démons est son œuvre propre.

Ni date ni lieu précis ne sont assignés à la guéri- son du lépreux. Les malades de cette sorte tom- baient sous un interdit qui ne leur permettait pas l'accès des habitations. Comme on voit le Christ mettre l'homme dehors, et que celui-ci est dit « sortir -, il faut supposer que le lépreux, nouobs-

COMMENTAIBE 79

compassion, étendant la main, il (lej toucha et dit : « Je (le) veux, sois purifié. » ^- Aussitôt la lèpre s'en alla de lui, et il fut purifié. ^^ Et lui parlant sévèrement, il le chassa sur Theure

tant les défenses, s'est introduit dans une maison il savait trouver le thaumaturge. Le récit a l'apparence d'un morceau arraché de son contexte, il aurait été pourvu d'une introduction qui en expliquait les circonstances extérieures. Comme la conclusion est fort analogue à celle de la journée des miracles à Capiiarnaùm, on pourrait se croire en présence, non de la suite, mais d'un récit paral- lèle, qui était originairement localisé dans la maison de Simon.

Le lépreux dont d s'agit a foi dans la puissance miraculeuse de Jésus et aussi dans sa grande pitié, car il ne craint pas d'être rebuté en s'approchant de lui ; mais il se prosterne humblement, disant avec confiance : « Si tu veux, tu peux me purifier. » Il est évident que « purifier » 'signifie ici guérir, et cette acception n'a rien de surprenant, puisque la lèpre mettait en état d'impureté ceux qui en étaient atteints; la purification allait de pair avec la guérison, comme Timpureté avec la maladie. Certains critiques, jugeant impossible la guérison instantanée de la lèpre, ont supposé que la tradition s'était méprise sur la portée réelle du fait; un lépreux guéri, mais qui voulait se dispenser des formalités légales, aurait prié .Jésus de le déclarer pur en vertu de son autorité personnelle, au moins

80 l'évangile selon marc

'*'* et lui dit : « Garde-toi de rien dire à personne ; mais va te monlier aux prêtres, et ofTre pour ta purification ce que Moïse a prescrit, en attes- tation pour eux. » '*■> Et lui, étant sorti, se mit

égale à celle du prêtre, et Jésus aurait refusé. Mais, (ju'un lépreux se soit avisé de pareille demande, ce n'est pas déjà si vraisemblable ; et que la tradition ait gardé le souvenir d'un incident aussi insigni- fiant, sauf à en transformer après coup le carac- tère, ce n'est guère plus facile à croire. Mieux vau- drait dire (jue le miracle a été inventé de toutes pièces, pour avoir un cas de guérison d'une maladie assez fréquente chez les Juifs, ou réputée incurable, ou propre à figurer la souillure du péché. Mais l'his- toire de iS'aaman (II. Rois, vi, alléguée par Strauss en faveur de l'hypothèse mythique, a un tout autre développement que le récit de l'Évangile, et celui- ci. dans son ensemble, n'a pas l'apparence d'une fiction. On désignait par le même nom de lèpre différentes sortes de maladies qui ne sont point toutes inguérissables, et les données évangéliques ne sont pas suffisantes pour la discussion rigou- reuse du cas au point de vue médical.

En voyant et entendant le lépreux, Jésus est ému de compassion. Sans souci de l'impureté légale, il étend la main vers lui et le touche, témoi- gnant en même temps sa volonté de le voir guéri, et la lèpre disparaît à l'instant. La situation de Jésus à l'égard des prescriptions mosaïques rela-

COMMENTAIRE

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à raconter beaucoup et à divulguer la chose, en sorte que (Jésus) ne pouvait plus entrer publi- quement en ville ; mais il restait dehors, en des

tives à la lèpre n'est pas la même que Jcelle du lépreux : il peut faire le cas qu'il veut de l'impu- reté passagère que communique le contact d'un tel malade ; le lépreux guéri ne peut se dispenser de la formalité qui l'autorise à rentrer dans le com- merce ordinaire de la vie. Si Jésus prend un ton menaçant pour congédier son obligé, ce n'est pas que la guérison soit seulement commencée et qu'il y ait encore péril de contagion, c'est à cause du silence qu'il exige, et qu'il craint, non sans motif, de ne pas voir observé, ou plutôt encore parce que le lépreux n'aurait pas entrer dans la maison ; il n'a pas davantage le droit d'v rester, et sa présence ne saurait y être tolérée. Peut-être est-ce pour ce motif que Jésus ne lui fait ses recommandations qu'après l'avoir mis dehors. L'ordre de se mon- trer au prêtre est donné dans l'inlérèl de celui à qui il s'adresse. L'homme est guéri; mais, pour que tout le monde puisse le traiter comme tel, il faut que le prêtre ait accompli les rites de la puri- fication et certifié la guérison. C'est ce témoignage qui est visé dans les dernières paroles du Christ : « en attestation pour eux ». Il ne s'agit pas de prouver aux représentants officiels de la religion que Jésus respecte la Loi, et moins encore qu'il fait des miracles. La purification du lépreux, dans les formes ordinaires, prouvera, comme il est né-

6

82 l'évangile selon marc

lieux dôserts. et l'on venait à lui de toutes parts,

11. ' Ht comme il était entré de nouveau à

cessairo. sa guérison à sa i";imillo ot h ses conci- toyens, sans qu'il soit besoin de dire comment il a été guéri.

Au lieu de se taire, l'homme parle beaucoup et raconte le lait à tous ceux (pi'il rencontre. Ce mi- racle en lait demander d'antres par la foule qui se pi'écipile sur les pas de Jésus. Pour se soustraire à cet empressement qui va contre ses desseins, le Chi'isl est contraint de ne plus paraître « en ville », soit dans les villes en général, soit plutôt dans celle a eu lieu le miracle, c'est-à-dire probablement à Capharnaiim. Il se relire dans la campagne, pour laisser tomber l'agitation popidaire; mais il ne réussit |)as à se cacher, parce qu'on s'assemble autour de lui dès qu'on a pu le découvrir en quelque endr-oil. Conclusion qui enchérit sur celle du tableau précédent, avec laquelle cependant elle ne laisse pas de faire double emploi. On dirait que l'évangéliste a pris un récit tout fait et qu'il l'a logé tant bien que mal, comme pour combler un vide, entre le départ de Capharnaiim et le retour dans cette ville pour la guérison du paralytique.

Suit une série de cinq conflits avec les phari- siens : sur la rémission des péchés, à propos du

COMMENTAIRE 83

Gaphariiaiim au bout d'un certain temps, on apprit qu'il était à la maison ; - et beaucoup de gens s'assemblèrent, en sorte qu'on ne pouvait arriver même jusqu'à la porte; et il leur disait la parole.

3 Et il vint (des gens) qui lui amenaient un

paralytique de Capharnaûm : sur la fréquentation des publicains, à propos de Lévi ; sur le jeûne, avec égard aux disciples de Jean-Baptiste; sur le sabbat, en deux occasions. La combinaison est vi- siblement artificielle et rédactionnelle.

Jésus, s'étant tenu quelque temps à l'écart de Capharnaiim, est censé y rentrer de nouveau, mais non ostensiblement, puisque sa présence « à la maison » n'est connue qu'après son arrivée et mal- gré les précautions qu'il semble avoir prises pour qu'on rignorât. La maison dont il s'agit doit être celle de Simon, il avait habité avant son départ. Encore est-il que l'évangéliste dit « la maison », comme il dit « la montagne » et « le désert », pour le besoin de son récit, sans autre détermination. Cette mise en scène peut s'expliquer par rapport au récit précédent, comme elle peut s'entendre par rapport au départ qui a suivi les premiers miracles à Capharnaûm, en tenant comme non avenues l'his- toire du lépreux et sa conclusion.

D'après ce qui a été raconté plus haut, il est aisé de comprendre qu'une foule nombreuse s'assemble aux abords de la maison. Jésus parle, il annonce

H't I.KVANT.II.E SELON MARC

paralytique port»* par quatre; ^ et comme ils ne pouvaient le lui présenter à cause de la foule, ils découvrirent le toit (du lieu) il était, et par louverlure descendirent le lit oià le paraly-

lÉvangile, et avec dautant plus de sécurité que l'attroupement considérable empêche les malades d'arriver jus(ju'à lui. Cependant des gens veulent profiter de l'occasion pour obtenir un miracle ; un groupe se présente escortant un paralytique porté sur sa couchette par quatre hommes; ils voient l'impossibilité d'atteindre jusqu'à la porte, et à plus foite raison d'entrer dans la maison, mais ils ne se déconcertent pas pour si peu; ils montent sur le toit en terrasse, Ton pouvait avoir accès par un escalier extérieur ou par une maison voi- sine, y pratiquent un large trou en enlevant le dal- lage et descendent leur malade devant Jésus.

Admirant la loi de tout ce monde, aussi bien celle de l'intirme qui s'est prêté à la manœuvre que celle des personnes qui l'ont prescrite et exécutée, Jésus parle au paralytique sur un ton bienveillant: « Mon fils, tes péchés sont remis. » Ce n'est pas tout à lait ce qu'attendaient cet homme et ses amis, ni ce qu'attendrait le lecteur; mais suivons d'abord la pensée de l'évangéliste. On doit suppo- ser que le Christ, s'il est touché de la foi du para- lytique, ne songe pas encore à prendre l'initiative de sa guérison. Il se porte caution du pardon accordé aux péchés du malade par le Père céleste;

COMMENTAIRE

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tique était couché."^ Et Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : « Mon enfant, tes péchés sont pardonnes. «'^ Et il y avait quelques scribes qui étaient assis et qui se disaient dans leurs

aussi bien n'est-il pas envoyé pour faire des mi- racles, mais pour réconcilier les hommes avec Dieu. Rien n'invite à conjecturer que l'âme du paralytique ait été accablée par la conscience du péché, que Jésus ait lu son angoisse dans ses yeux, et qu'il ait voulu pourvoir d'abord à sa paix inté- rieure. Le paralytique est un paralytique : on ne dit pas qu'il ait été un grand pécheur ni que ce fût une àme tourmentée.

Cependant le pardon du péché n'appartient qu'à Dieu. Aussi quelques scribes, dont l'évangéliste n'avait point parlé, et qui surgissent en cet endroit pour faire l'objection nécessaire (les commenta- teurs savent que c'étaient les personnages les plus considérables de l'assistance, qui étaient au pre- mier rang devant Jésus), sont fort scandalisés et se disent en eux-mêmes que l'orateur a blasphémé. L'évangéliste tient à noter que Jésus connaît leur pensée « par son esprit », c'est-à-dire en lui-même et par une intuition qui se passe des moyens ordi- naire d'information. C'est pourquoi le Christ va combattre cette pensée par un raisonnement et par un miracle, l'un soutenant l'autre; il va prouver la légitimité de ses prétentions dans l'ordre spirituel par la réalité de son action miraculeuse sur les

86 l'évancile selon marc

C(Burs : ' « Comment celui-ci parle-t-il de la sorte' Il blasphème! Qui peut remettre les péchés si ce n'est Dieu? )> ^ Et aussitôt Jésus, connaissant par son esprit qu'ils raisonnaient

corps. Lui, qui refusera toujours de donner à ses adversaires les « signes » qu'ils lui demandent, va leur en fournir un spontanément. A cet efl'el, il formule un espèce darg^ument conforme aux pro- cédés dialectiques des rabbins, ou mieux encoie peut-être à la log^ique populaire, quelque peu in- fluencée par celle des écoles : est-il plus facile de garantir à un homme la rémission de ses péchés que de le guérir quand il est dans l'étal se trouve le paralytique? En soi, l'un n'est pas plus facile que Taillre, car ce sont deux œuvres divines, qui relèvent Tune de la miséricorde et l'autre de la puissance; mais la secondeest perceptible aux sens, tandis que l'autre ne l'est pas ; l'œuvre divine visible peut servir de preuve à la réalité de l'œuvre divine invisible, quand c'est le même envoyé de Dieu qui les accomplit ; pour que ces gens, si prompts à se scandaliser, sachent que le Fils de l'homme exerce ici-bas la faculté de pardon que le Père exerce dans les cieux, Jésus commandera au paralytique de se lever, de prendre son lit sur son dos et de s'en aller chez lui.

Sur l'ordre du Christ, le malade se lève en effet, prend son grabat et sort devant l'assistance émer- veillée. Jamais on n'a vu pareille chose, disent les

COMMENTAIRE 87

ainsi en eux-mêmes, leur dit : « Pourquoi avez- vous ces pensées dans vos cœurs ?^ Qu y a-t-ilde plusfacile, (ou) de dire au paralytique: « Tes péchés sont pardonnes », ou de dire :

gens. Façon de parler toute naturelle en un cas aussi extraordinaire, et d'autant mieux en situation que Jésus n'a pas fait encore de miracle aussi écla- tant à Capharnaûm et en public. Mais nul ne s'étonne que Jésus ait pris le titre de messianique de Fils de l'homme, et Ton a oublié la revendica- tion du pouvoir de remettre les péchés, revendica- tion que le miracle est censé pourtant avoir jus- tifiée. La conclusion de l'anecdote se réfère au début, aux préliminaires du miracle, comme s'il n'avait été question que de foi et de guérison, non du Messie et de ses prérogatives.

C'est que l'argumentation messianique a été surajoutée au récit déjà fixé dans la tradition et même dans une relation écrite. La glose est à peine soudée au texte. Jésus commence (v. 10), en parlant aux scribes, une phrase qu'il termine (v. Il) en s'adressant au paralytique. Photographie du geste, s'écrient les interprètes. Ce trait si vivant pourrait bien n'être originairement (ju'une gau- cherie de la rédaction. La parole qui doit venir après le témoignage rendu à la foi du paralyti(pie (v. 5 a) est : « Lève-toi, prends ton lit et va dans ta maison. » L'évangéliste, ayant substitué à cette parole la déclaration : « Mon enfant, tes péchés

88 l'évangile selon marc

« Lève toi, prends ton lit et va-t-en? » '" Et alin que vous sacliiez que le Fils de l'homme a pouvoir, sur la terre, de remettre les péchés >% il dit au paralytique : " « Je te dis : Lève-toi,

sont pardonnes », pour introduire la revendication de messianilé, rattrape la suite primitive du récit en répétant : Il dit au paralyticiue », pour amener le miracle et la conclusion de l'anecdote.

Jésus réclamerait pour lui en tant que Fils de l'homme la faculté de remettre les péchés. Autant dire qu'il se proclamerait lui-même Christ, et Christ Sauveur, investi de pouvoirs divins, au sens Paul l'entend, ce qui est en contradiction avec le récit de la confession de Pierre (vui, 27-.'i0) et le plus ancien fonds traditionnel de Marc. Rien ne sert de vouloir atténuer ou éliminer la mention du Fils de l'homme en cet endroit, comme si Jésus avait entendu signifier qu'un homme, et conséquemment lui-même, pouvait avoir et avait le pouvoir de remetti-e les péchés, ou comme si la tradition avait substitué le titre messianique au pronom person- nel dont Jésus s'était servi. Tout l'ensemble de l'argumentation suppose que la formule « Fils de l'homme » désigne Jésus, qu'elle n'est pas un simple équivalent du pronom personnel, qu'elle signifie la qualité en vertu de laquelle le Christ remet les péchés, et qu'elle aurait être intelli- gible pour les auditeurs, qui cependant n'ont pas compris. La formule est donc nécessaire à l'équi-

COMMENTAIRE 89

prends ton lit et va dans ta maison. » ^- Et il se leva, et aussitôt, prenant, sou lit, il sortit en présence de tous, en sorte que tout le monde était stupéfait etglorifiait Dieu en disant : « Nous n'avons jamais rien vu de pareil ! »

libre du discours, et c'est le discours entier qui est suspect.

Mais, grâce au discours, l'histoire du paralytique devient la première anecdote d'une série qui sert à illustrer les rapports de Jésus avec les pharisiens, ou plutôt du Christ de la foi avec le judaïsme incré- dule. Après la série d'anecdotes viendra le discours des paraboles, avec la thèse de Marc sur l'endurcis- sement providentiel des Juifs. Si les scribes intro- duits par Tévangéliste dans le présent récit ne pro- testent pas contre la prétention messianique de Jésus, c'est sans doute qu'ils sont supposés n'avoir pas compris ce que siîi^nifiait la formule « Fils de l'homme ». Et la formule représente exactement l'idée que l'évangéliste se fait du Christ : le Fils de l'homme de Daniel, identique à l'Homme céleste de Paul, manifesté en chair et « donnant sa vie pour le salut de plusieurs » (x, 45). On peut bien revendiquer pour ce Christ le pouvoir de pardon- ner leurs péchés à ceux qui croient en lui. Mais Jésus lui-même n'aurait pas affiché cette préten- tion.

90 l'évangm.e selon marc

'^ lit il sorti! de nouveau du côté de la mer ; et tout le peuple venait à lui, et il les instruisait.

Il ne semble pas que la vocation de Lévi soit rapportée au même jour que la guérison du para- lytique. En disant que Jésus sortit une seconde fois du côté de la mer, le narrateur se réfère soit au départ du Christ le lendemain de la première prédication à (lapharnaiim (i, 35), soit plutôt à la vocation des premiers disciples (i, 16), qui s'est accomplie auprès du lac. Dans un cas comme dans lautre, l'expression nesl pas tout à fait correcte, et la formule de transition est artiticielle.

A raiï^on de sa situation sur les limites de la tétrarchie d'Hérode Antipas, et à proximité de la route qui conduisait du littoral méditerranéen à Damas, Caphaniaum avait des bureaux de douane et de péage occupés par de nombreux publicains. Jésus donc, étant descendu auprès de la mer, il instruisait la foule nombreuse qui s'attachait à ses pas. aurait remarqué, à l'aller ou au retour de celte promenade évangélique, unpublicain nommé Lévi, fils d'Alphée. Le nom témoigne dune ori- gine juive, et ce publicain, nonobstant sa profes- sion, n'était pas insensible à l'espérance du royaume des cieux. Jésus lui dit la parole qu'il avait adres- sée aux premiers disciples : « Suis-moi » ; et la parole a le même effet : Lévi quitte son bureau pour n'y plus revenir et il suit Jésus. 11 y aurait lieu de faire sur celte vocation subite les mêmes réflexions que sur l'appel des quatre pêcheurs, si ce

COMMENTAIRE 91

'^ Et en passant, il vit Lévi d'Alphée assis au bureau de péage, et il lui dit : « Suis-moi. » Et se levant, il le suivit.

'^ Et il advint que 'Jésus) se mit à table dans sa maison, et beaucoup de publicains et de

n'estque Lévi avait entendre parler de Jésus, le voir même et assister peut-être à ses prédications, avant d'être invité à le suivre comme disciple. Ces récits de vocations doivent provenir de la même source, et le rédacteur évangélique leur aura donné un cadre de sa far on.

Une transition des plus mal venues rattache celui-ci à l'apologie du Christ contre ceux qui lui reprochaient la fréquentation des publicains. Litté- ralement on devrait traduire : » Et il advient qu il se met à table dans sa maison. » Jésus n'ayant pas de maison, il s'agit de la maison de Lévi, et c'est Jésus qui se met à table. Rien n'invite à penser que le repas offert par Lévi au Christ n'aurait eu lieu que plusieurs jours après la vocation du premier. Mais il y a une certaine incohérence entre l'asser- tion concernant le départ du publicain, qui « suit » immédiatement Jésus, el la description du repas que Lévi est censé offrir, dans sa maison, à Jésus et aux publicains de l'endroit. Plus gauche encore et plus équivoque est la remarque sur le nombre de ceux qui « suivaient » Jésus. On peut se deman- der si ce sont les disciples qui sont nombreux autour du Christ, ou bien les publicains. Cependant

92 l' ÉVANGILE SELON MARC

pécheurs se mirent à table avec Jésus et ses disciples; car il y en avait beaucoup qui le suivaient. '^ Elles scribes des pharisiens, voyant qu'il mangeait avec des publicains et des pé- cheurs, dirent à ses disciples: « 11 mange avec

révangélisle ne peut pas vouloir dire que quantité de publicains étaient disciples de Jésus ; et il tient plutôt à faire entendre que le groupe de ces der- niers était plus nombreux qu'on ne pourrait être tenté de le supposer d'après les vocations racon- tées. Tout ce préambule (v. 15) est une pièce de suture.

« Les scribes des pharisiens », c'est-à-dire les scribes qui appartenaient à la secte des pharisiens (la mention spéciale de ces « scribes » doit venir du rédacteur qui les a fait intervenir dans l'his- toire du paralytique), voient Jésus attablé « avec des publicains et des pécheurs », des gens qui n'observaient par la Loi ; ils en sont fort éton- nés et ils ne peuvent s'empêchei- de manifester leur surprise aux disciples, sur le ton aigre-doux de dévots scandalisés. Ils n'osent pas encore s'adresser directement au maître, mais ils vont déjà plus loin que dans l'atTaire du paralytique, ils s'étaient bornés à penser défavorablement de Jésus. Le Christ, qui les entend, se défend par une comparaison l'on peut voir l'application d'un proverbe populaire : ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais ceux

COMMENTAIRE 93

des publicains et des pécheurs! » '" Et (les) entendant, Jésus leur dit : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais ceux qui sont malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. »

'*^ Et les disciples de Jean et les pharisiens

qui sont malades ; de môme, ce sont les pécheurs qui ont besoin d'être évangélisés, non les justes. Le proverbe cité par Jésus contient probable- ment toute la réponse qu'il a faite au reproche des pharisiens, et cette réponse pouvait se passer de commentaire. Ce que l'évang-élisle y ajoute ne tient plus à la réalité, mais à la doctrine : Jésus parle de la vocation, au sens absolu du mot, comme un dieu qui appelle au salut ceux qu'il a choisis ; et quand il dit : « Je suis venu >>, on ne peut pas l'entendre de la circonstance présente, mais de sa mission divine pour le salut du monde, même de sa venue dans la chair. Le Christ qui commente le dicton sur les malades et les bien portants est donc le Fils de l'homme qui remet les péchés, c'est le Christ de l'évangéliste. Celui-là n'appelle pas au salut les justes de la Loi, mais les pécheurs, qu'il sauve par la foi.

Aucune circonstance de temps ni de lieu n'est indiquée pour la question du jeûne. Mais la

94 l'évangile selon marc

étaient à jeûner ; et on vint lui dire : « Pourquoi les disciples de Jean et les disciples des pha-

menliou des disciples de Jean est significative. C'est bien h leur occasion qu'a été dite la parole que l'on va rapj)orler. Les pharisiens leur ont été adjoints par l'évangéliste : ils viennent en sur- charge, et la parole sur lesgart^ons de noces ne les concerne pas. Ils ont été introduits ici en vue des comparaisons suivantes, qui les regardent ; peut- être aussi parce que Jésus a blâmé ailleurs (Matth., VI, 16-18j la façon dont ils jeûnaient, et pour que l'anecdote du jeûne pût entrer dans la série des conllits entre le Christ et les pharisiens.

On ne dit pas qui a posé la question. Ce ne sont pas tous ceux qui jeûnaient ce jour-là, mais quelques personnes qui approuvaient la conduite lies jeûneurs et qui sans doute jeûnaient elles- mêmes. Dans l'esprit de l'évangélisle, ce sont pro- bablement « les scribes des pharisiens » ,dont il vient d'être parlé. Les critiques s'enhardissent : mainte- nant ils demandent des explications à Jésus; la pro- chaine fois, ils lui reprocheront de laisser violer le sabbat par ses disciples.

Jésus répond simplement à la question posée, sans discuter la valeur religieuse de la pratique et en en reconnaissant implicitement la légitimité. Il explique pourquoi ses disciples ne jeûnent pas pré- sentement et ne doivent pas jeûner; selon la teneur du texte traditionnel, il aurait ajouté que les dis- ciples jeûneraient plus tard, après sa mort. Il envi-

COMMENTAIRE 95

risiens jeûnent-ils, et tes disciples ne jeûnent- ils pas ? » 19 Et Jésus leur dit : « Les garçons

sage le jeûne, conformément à sa signification première, comme une expression naturelle du deuil et de la tristesse; par une comparaison vivante, il montre que le jeûne est incompatible avec la situa- tion de ses disciples. Les « fils de la chambre nup- tiale », c'est-à-dire les garçons de noces, « peuvent- ils jeûner tant que l'époux est avec eux? » Il s'agit du groupe de jeunes gens qui assistent l'époux durant les fêtes nuptiales et qui ont leur place marquée dans les cérémonies coutumières. Le pharisien le plus rigide n'aurait certes pas l'idée de les obliger à un seul jour de jeûne pendant qu'ils ont à tenir leur rcMe près de l'époux. Il est sous- entendu que les disciples de Jésus sont dans une condition analogue ; eux non plus ne peuvent jeûner ayant leur maître avec eux. L'Évangile est assimilé à des fêtes nuptiales parce qu'il annonce le prochain règne de Dieu, la fête des élus. Et de cette première déclaration Ton est en droit d'inférer que les dis- ciples de Jean n'étaient plus dans le cas se trou- vaient ceux de Jésus: ils pouvaient jeûner, parce qu'ils avaient perdu leur maître.

Ce que le Christ dit ensuite n'est pas une expli- cation ni un raisonnement, mais une prophétie; il prédit sa propre mort et les jeûnes qui se prati- queront dans l'Eglise chrétienne. Cette seconde partie de la réponse n'est pas conçue dans la même perspective que la première, et les mots mêmes

96 l'évangile selon makc

de noces peuvent-ils jeûner, tant quelépoux est avec eux? Aussi longtemps qu'ils ont Tépoux

ont changé de sens. Car, dans in première partie, l'époux était un terme de comparaison, un marié quelconque ; dans la seconde partie, c'est Jésus en personne, et Jésus crucifié. Cependant la première piirlie du discours en appelle une seconde, puis- qu'un contraste se devine entre le cas de garçons d'honneur entourant l'époux, et celui d'autres garçons d'honneur plongés dans le deuil par la dis- parition soudaine du roi de la fête. Tel est préci- sément le cas des disciples de Jean depuis l'arres- tation et surtout depuis la mort du Baptiste. On est fondé à supposer que Jésus, après avoir allégué la comparaison de noces régulièrement célébrées, pour en fjure l'application à ses disciples, énonçait la comparaison- de noces interrompues par un acci- dent imprévu, tel que l'enlèvement et le meurtre de l'époux, pour en faire l'application aux disciples de Jean. 11 aurait dit : « Mais si l'époux vient à être enlevé, les garçons de noces jeûnent », puisque les noces se sont terminées dans le deuil.

Mais il est évident que, pour Marc, dès la pre- mière partie de la réplique, le Christ est l'époux par excellence, l'époux de l'Église, comme il l'est pour saint Paul ; ses disciples, compagnons de l'Époux, ne jeûnent pas, parce que lui, l'Époux, est avec eux. Une fois lancé sur cette voie, l'évangéliste ne s'arrête pas, et il tourne en prédiction des jeûnes de l'Église ce qui avait élé dit par compa-

COMMENTAIRE 97

avec eux, ils ne peuvent jeûner. ^'^ Viendront des jours l'époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront, en ce jour là. »

"'• (( Nul ne coud une pièce de drap non foulé sur un vieil habit ; autrement le morceau neuf en emporte du vieux, et il se fait une plus

raison pour expliquer la conduite des disciples. Jésus lui-même n'en était pas à se considérer comme l'Époux divin de l'Eglise. Et le discours que lui prête l'évangélisle n'est plus une réponse à la question posée ; c'est une allégorie le Chi'ist n'explique rien, ni la conduite des disciples de Jean, ni celle de ses propres disciples ; il affirme seule- ment que ses disciples ne peuvent jeûner tant qu'il est avec eux, et qu'ils jeûneront plus tard quand il n'y sera plus ; il expose un fait, ou sa propre vo- lonté, il n'éclaircitpas le problème. Dans la pensée de l'évang-éliste, il ne parle pas pour se faire en- tendre, mais pour émettre une vérité inintelligible aux pharisiens réprouvés.

11 est assez vraisemblable que l'assertion empha- tique : « Alors ils jeûneront, en ce jour-là », ne vise pas seulement le jour de la passion comme point de départ du jeûne chrétien, mais le vendredi, spécialementle vendredi saint, comme jour déjeune et commémoratif de la mort de Jésus sur la croix.

L'évangéliste n'établit aucun lien entre cette réponse et les sentences qui suivent, mais il a percevoir entre les deux un certain rapport, puis

98 l'kvangile selon marc

grande déchirure. - Et personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres; autrement le vin fait éclater les outres, et le vin est perdu

qu'il n'indique pas davaulai^e que l'on passe à un autre sujet. Jésus a d'abord justilié la conduite de ses disciples en tant qu'ils difl'èrent de ceux de Jean ; maintenant il va les excuser, à ce qu'il semble, de ne pas se conformer aux pharisiens. Peut-être se rendra-t-ou plus facilement compte de la combi- naison si l'on admot ipio la comparaison des noces répondait oi'iii^in.iiremoiit à la question : pourquoi les disciples de ri-^vang'ile ne jeùnenl-ils pascomm.e les sectateurs de Jean ? el les deux comparaisons suivantes à une question analoi^ue posée à l'occa- sion des pharisiens : pourquoi les disciples ne jeûnent-ils pas selon la coutume des hommes pieux? Le rédacteur aurait fait une seule question des deux et juxtaposé les réponses.

Les deux dernières comparaisons ne font pas valoir l'incompatibilité de la joie et de la tristesse, mais celle du vieux et du neuf; elles ont donc une plus y^rande portée que la première, puisque leur application ne concerne pas seulement une ma- nière d'agir des disciples, mais la nature même de l'Évangile, qui est quelque chose de neuf par rap- port à la tradition du judaïsme pharisaïque en général, et à celle du jeûne en particulier. Si l'on met une pièce de drap brut pour boucher le trou d'un vieux manteau, la pièce neuve emporte l'attache, et ' il se fait une plus grande déchirure

COMMENTAIRE 99

ainsi que les outres. Mais vin nouveau pour outres neuves, »

dans le vieux vêlement. Si Ion met du vin nouveau, du vin doux, sortant du pressoir, dans de vieilles outres, le vin, en fermentant, fait éclater les outres, et tout est perdu : à vin nouveau outres neuves.

Rien d'allégorique dans ce discours. La pointe des deux paraboles est la même : incompatibilité du neuf et du vieux, présentée sous deux formes différentes, celle dune partie qui jure avec le tout et qui le compromet, celle d'un contenu qui brise le contenant trop faible pour le garder. De même la nouveauté de l'Évangile ne peut s'allier aux observances pharisaïques sans inconvénient pour elle-même et pour les observances dont il s'agit. Les paraboles ont une signification générale, mais elles ont pu être dites à propos d'une remarque particulière sur le jeune ou quelque coutume du même genre. Si Ton applique au judaïsme, et non seulement au pharisaïsme, la comparaison du vieil habit et delà vieille outre, on trouvera ici la pensée de Jésus plus radicalement novatrice que sa façon pratique de se comporter envers la Loi. Mais il faut tenir compte de la liberté avec laquelle le Christ interprète et complète cette même Loi pour l'op- poser au judaïsme des pharisiens.

'^5

J'BUOTH.-CA ]

100 LÉVANGILK SELON MARf.

'3 Bt il advint qu'il passait, le jour ilu sabbat, à travers des champs de blé ; et ses disciples se mirent, tout en marchant, à arracher les épis. '-'♦ Et les pharisiens lui dirent : « Vois comme ils font, le jour du sabbat, ce (jui n'est pas

De Tobjet même du premier récit sabbatique il résulte (|ue celle anecdoledoil être placée à l'époque de la moisson, entre le commencement d'avril et la mi-juin ; elle ne peut donc appartenir aux der- niers temps du ministère ii"aliléen ; mais il est aisé de la mettre dans l'année qui précéda la mort de Jésus, une dizaine de mois avant la passion.

11 advint, un certain jour de sabbat, que les dis- ciples, passant avec leur maître dans un sentier qui traversait des champs de blé, arrachèrent (juelques épis pour en manger les grains. La façon dont le Christ justifie ses disciples ne laisse aucun doute sur l'inlcntion de leur acte. Quelques pharisiens, les voyant, se scandalisèrent, non de ce qu'ils mar- chaient, puisque les pharisiens eux-mêmes étaient aussi dehors, et qu'on avait le droit de se promener, ni de ce qu'ils prenaient des épis qui ne leur appar- tenaient pas, car la Loi (Deut. xxni, 26) permettait de le faire, si l'on avait faim, pourvu qu'on n'usât pas de faucille; mais parce que la Loi proscrivait le tra- vail de la moisson, comme tout autre travail, le jour du sabbat, et que, pour les pharisiens, arracher quelques épis, c'était moissonner. Sans discuter l'interprétation étroite donnée au précepte, Jésus

COMMENTAIRE

101

permis ! » El il leur dit : « X'avez-vous pas lu ce que fît David, quand il était dans le besoin et qu'il avait faim, lui ainsi que ses compagnons ;

s'attaque à la nature même de l'obligation. Sur le ton d'un homme quiconnaîtles Ecritures autrement que par la lecture des synagogues (cette nuance pourrait appartenir à la rédaction), il renvoie les pharisiens à l'histoire de David fugitif chez les prêtres de Nob (I Sam., xxi, i-7i. Nécessité n'a pas de loi : de même que David, parce qu'il avait faim, a pu manger les pains consacrés dont les prêtres seuls ont le droit de se nourrir, de même les dis- ciples, qui sont affamés, peuvent ramasser des épis le jour du sabbat, bien qu'il soit défendu de mois- sonner. L'exemple est concluant; nul n'aurait songé à contester la légitimité de lacté accompli par David, homme inspiré, prophète, élu du Seigneur. Tant s'en faut d'ailleurs que l'allégation du récit biblique soit exacte et littérale. L'hagiographe ne dit pas que David ait pénétré dans le sanctuaire, ni qu'il ait eu des compagnons, nique le prêtre qui lui a donné les pains se soit appelé Abiathar. Ce prêtre était Achimélek, père d'iVbiathar. La cita- tion s'accompagne donc d'une interprétatimi plus ou moins légendaire. On suppose que David est entré dans le sanctuaire pour prendre les pains dont le prêtre lui a permis de faire usage; et qu'il avait des compagnons, parce que, bien qu'il soit parti seul, il fait entendre au prêtre qu'il en a plusieurs, envoyés comme lui en mission secrète par

loi l/ÉVA>r,tLE SET.ON MARC

^' comment il entra dans la maison de Dieu, 80US le grand-prtMre Abiathar, mangea les pains de proposition, dont il n'est permis qu'aux

le roi. Quan< à la mention dAbialhar, elle a êl ne ajoutée au récit primitif et résulte prol>able- ment d'iirre cf>nfusion. L'évanf^t'diste écrit : « Sous Abiathar i^nand-prétix? », ( t Ton ne peut voir autre chose qu'une indicialion l>paucoup moins destinée à marquer la date du fait qu'à en démontrer la légi- timité par le nom d\i céb'bre pontife en môme temps que |>iU' celui de David. On aura cité Abiathar parce qu'il était plus connu <jue son père, et qu'on oul)liail Achimélck. Ajoutons qu"Al)iathar n'a ja- mais éié g^r-and-prélre au sens l'Evangile Ten- iend. Et il n'v a pas lieu de voir dans la mention d'Abiathar une soite de référence au texte, « à la seclion d'Abiatliar grand-prètre >■>. Outre que le morceiau visé n'ïi guère pu être qualifié chapitre d'Abiathar, une telle référence n'aurait pas ici de raison detre (le cas de Mahc, xîi, 26, est tout dif- férent).

L^'anecdole est cotnplète avec l'exemple de David; des deux sentences qui suivent, la première s'ac- corde bien avec le récit, mais n'est pas indispen- sable pour en dégager l'idée essentielle; la seconde vient en surcl'n:gc de la premièreet semble orientée dans une autre direction, Vers l'autorité personnelle du Christ. On dirait que Jésus et ses disciples font pendant à David et à ses compagnons, et que 5ésus,plus ra"nd que David, dispense ses discipiles

COMMENTAIRE 103

prêtres de manger, et en donna à ses compagnons? » ^7 Et [[ leur dit : « Le sabbat a été fait pour l'homme, et non Ihomme pour le

du sabbat, comme David est censé dispenser ses compagnons de la loi qui leur interdisait l'usage des pains consacrés. Or ce n'est pas ainsi que l'exemple a été proposé ; car c'est la faim, par la faim c'est Dieu môme (jui a dispensé David avec ses compagnons, et qui dispense maintenant les disciples de Jésus. La première réflexion : « Le sabbat a été fait pour l'homme, non l'homme pour le sabbat », est donc dans le même esprit que l'exemple cité, et a pu servir à le confirmer; mais on n'en peut dire autant de la seconde, qui, nonobs- tant le lien que l'évangélisle établit entre les deux, ne se déduit pas naturellement de la première. De ce que l'homme n'est pas fait pour le sabbat, il suit que l'homme peut être dispensé du sabbat quand le sabbat lui serait nuisible au lieu de lui être utile, non que David ou bien le Messie aient le droit d'en dispenser, que le Christ soit au-dessus du sabbat, qu'il ait le droit de l'abroger. Ce Fils de l'homme, qui domine la Loi et qui en dispense ses fidèles, est le Christ de Paul et de l'évangéliste, ce n'est pas Jésus. Dans la première sentence, celui-ci parle comme interprétant l'intention de Dieu légis- lateur selon sa signification véritable, et il tire cette signification de la conscience qu'il croit avoir des intentions divines, plutôt que des textes bibliques relatifs au sabbat ; il ne se fonde que .sur

104 l'évangile sfxon >fAhf;

sabbat, -^ en sorte que le Fils de rhomme est maître aussi du sabbat. »

III. ' Et il entra une seconde fois en syna- gogue, et il y avait un homme qui avait

la certitude de cette conscience, non sur sa qua- lité (le Messie, pour émettre son interprétation ; il n'affirme pas son autorité sur les petits comman- dements, car il ne songe pas à les abroger même partiellement, et il reconnaît à tout homme le droit d'entendre comme lui le précepte du sabbat. Ce n'est pas raison pour penser que « fds de l'homme », dans la dernière sentence, signifierait •< homme » en général ; car, dans ce cas, l'expres- sion araméenne employée par Jésus ayant être la même dans la sentence précédente, on aurait traduit uniformément « Fils de l'homme », ou « homme », dans les deux parties de cette décla- ration. .Jésus, d'ailleurs, n'aurait jamais dit que l'homme était maître du sabbat institué par Dieu. La réilexion touchant le pouvoir qu'a le Fils de l'homme sur le sabbat a été ajoutée par l'évangé- liste qui attribue au même Fils de l'homme, dans l'histoire du paralytique, le pouvoir de remettre les péchés.

La seconde anecdote sabl)atique est moins bien venue que la première, et elle ne tourne pas autour

i

COMMENTAIRE lOo

la main desséchée; ^ et ils l'observaient (pour voir) s'il le guérirait le jour du sabbat, afin de l'accuser. '■'■ Et il dit à l'homme qui avait la main desséchée : « Lève- toi (làj au milieu. »

d'une de ces paroles vivantes et lucides qui portent avec elles leur cachet d'autiienticité. Ni le temps ni le lieu du miracle ne sont déterminés; mais, puisque lévangéliste fait allusion à une première visite « en synagogue », il est probable que la seconde visite se l'ait à la même synagogue que la première, c'est-à-dire à la synagogue de Caphar- naûm. Cette référence implicite à la guérison du possédé n'est pas précisément une garantie d'his- toricité pour le récit qui va suivre. La mise en scène est peu satisfaisante. On dirait que Jésus vient à la synagogue pour y faire des miracles et qu'il se porte de lui-même à guérir tous les ma- lades qu'il y rencontre.

11 se trouvait donc, un certain jour de sabbat, dans cette synagogue, un homme qui avait la main desséchée, c'est-à-dire paralysée. Des pharisiens qui étaient présents dans l'assemblée se demandaient si Jésus oserait guérir cet homme unjourde sabbat, et ils se proposaient, le cas échéant, de le dénoncer comme violateur de la Loi. On n'explique pas devant qui la dénonciation aurait été portée, mais on ne peut songer, nonobstant la mention ulté- rieure des hérodiens. qu'aux autorités religieuses de Jérusalem. Jésus voit la préoccupation (.les pha-

106 i.'kvan(.ilf. selo.n marc

'• Kt il leur dit : « Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver quelqu'un ou de le tuer ? » Rt ils gar- daient le silence. ' Et les regardant à l enlour

risiens. Comme s'il tenait à braver leurs scrupules et les mauvaises intentions rpii sont dans leur cœur, il veut guérir riutnirne. bien que celui-ci ne l'en ait pas sollicité. 11 lui coinniiuide de se lever au milieu de l'assistance, sans doute pour que tout le monde voie le prodige ; j)uis, par une sorte de défi à ces dévots sans entrailles, il leur pose la question : est-ce le bien ({u\ est permis lejour du sabbat, ouest-ce le mal ? est-ce de préserver la vie de son procbain. ou bien de la détruire ? D'après les pharisiens, soigner et guérir un malade le jour du sabbatserait un tra- vail défendu : d'après .lésus, c'est un bienfait, une bonne œuvre; or faire du bien est un devoir et un droit de tous les jours contre lequel il n'y a pas de loi; si l'on n'a qu'à vouloir pour sauver la vie d'un homme et que l'on s'en abstienne, on le tue ; la défense de lui faire du bien équivaudrait à un ordre de faire le mal. Telle ne peut être la volonté de Dieu. A cet argument les pharisiens se gardent de répondre, n'osant le contester, ne voulant pas y adhérer. Jésus promène sur eux un regard il y a de l'indignation et de la tristesse, provoquées par leur endurcissement ; puis interpellant de nouveau rinfirme, il lui ordonne d'étendre sa main inerte et repliée; ainsi fait-il, celte main étant redevenue vivante et libre.

COMMENTAIRE 107

avec colère, tout affligé de l'endurcissement de leur cœur, il dit à l'homme : « Étends la main. » Et il retendit, et sa main redevint libre.'' Et les pharisiens, étant sortis, tinrent aussitôt

Même chose tHait jadis advenue au roi Jéroboam, à ce que dit l'Écriture (I Kois, xni. 6). Comme l'ar- gument développe par le Christ est aussi gauche- ment déduit que le fait manque de vraisemblance, il est permis de se demander si cette histoire n'aurait pas été construite avec le trait de l'Ancien Testa- ment et une paraphrase maladroite d'une parole transmise par la tradition sans indication spéciale de miracle, j>ar exemple celle (jue Matthieu (xii, 11 j a insérée dans cette même anecdote : si une brebis tombe dans un puits le jour du sabbat, son maître la retire ; on peut bien faire, et à plus forte raison, pour le soulagement d'un homme, ce qu'on fait pour une brebis. A cette comparaison trop humble notre évangéliste aura substitué une déclaration de principe quelque peu embarrassée.

S'il faut l'en croire, les pharisiens auraient formé dès lors avec les hérodiens un complot contre .lésus. Les hérodiens dont il est ici par'l'é seraient des fonctionnaires ou des agents dévoués d'Hérode Antipas. Mais l'attention d'Hérode ne paraît avoir été attirée sur Jésus qu'au bout d'un certain temps. La série des conflits avec les phari- siens anticipe au moins partiellement sur les éA'énements du ministère galiléen qui vont être racontés. La conclusion ne vise pas un complot

108 i.'kvangilh ski. on marc

conseil avec les hérodiens contre lui, afin de le faire périr.

^ Et Jésus avec ses disciples se retira vers la mer; et une grande foule le suivit de la Galilée et de la Judée ; ^ et de Jérusalem, de Tldumée, d'au delà du Jourdain, des environs de Tyr et de Sidon, une grande foule, apprenant tout

parliculicM" qui remonterait au début de ce minis- tère; elle fait plutôt présager le dénouement final de la lutte entreprise par Jésus contre Tesprit pha- risaïque, ou plutôt contre le judaïsme réprouvé. Car cette conclusion appartient au rédacteur évangélique et doit èlre entendue selon sa pensée.

Les deux petits tableaux (m, 7-12, 13-29) qui suivent les anecdotes sabbatiques n'ont pas une signification i>ien nette ni un rapport bien étroit soit entre eux. soit avec leur contexte. On dirait des pièces de remplissage que Tévangéliste rédige de lui-même, à défaut de souvenirs précis, pour relever la biographie de son héros et combler les lacunes de la tradition. Le premier récit, descrip- tion générale de l'activité bienfaisante du Christ, paraît destiné à préparer la dispute sur les exorcismes (ni, 22-30); le second, concernant le choix des apôtres, n'a pas seulement pour objet de faire con- naître par avance ceux que Jésus dira être ses

COMMENTAIRE 109

ce qu'il faisait, vint à lui. -' Et il dit à ses dis- ciples de lui préparer una barque, à cause de la foule, pour qu'on ne le pressât pas ; *o car il guérissait beaucoup de gens, en sorte que tous ceux qui étaient affligés de maladies se jetaient

véritables parents ^ni, 35 , mais de renseigner le lecteur sur les douze qui ont été les premiers pré- dicateurs du Christ ressuscité.

Bien que Marc n'indique pas de liaison étroite entre le fait qu'il vient de raconter et ceux dont il va parler, et qu'il ne veuille certainement pas dire que Jésus se soit retiré au bord du lac pour se soustraire aux entreprises des pharisiens, puisque ce déplacement n'a pas le caractère d'une fuite, il laisse entendre néanmoins que le Christ renonce à des disputes inutiles, et qu'il va recevoir libre- ment au bord du lac la foule qui vient à lui de toutes parts. Cette foule est censée arriver de toute la Palestine, depuis l'idumée jusqu'au pays de Tyr et de Sidon : un si grand mouvement, s'accomplis- sant sous le regard indifférent des pouvoirs cons- titués, serait inexplicable si l'on n'y devait voir une amplification du narrateur. Celui-ci ne dit pas que Jésus soit venu au bord de la mer pour prêcher : c'est la renommée de ses miracles qui est supposée produire un énorme concours de peuple. Le détail de la barque, tenue près du rivage à la disposition du Christ pour le soustraire à la presse, vient de l'introduction au discours des paraboles iiv, 1),

110 l'évangile sklon marc

sur lui pour letoucher. " Kt les esprits impurs, quand ils le voyaient, se prosternaient devant lui et criaient, disant : <• Tu es le Fils de Dieu. » '^ Et il leur enjoignait, avec beaucoup de me- naces, de ne pas le faire connaître.

'3 Et il monta sur la montagne, il appela ceuxquil voulait, et ils vinrent près de lui ; '* et il en établit douze pour <^tre avec lui et pour les envoyer prêcher, ^■' avec pouvoir de chasser les

il est à sa place. Ce rpii est dit des malades guéris et des gens qui se précipitaient pour être délivrés de leurs infirmités en touchant Jésus, est une libre généralisation de traits qui se rencontrent en des récils particuliers. De même, ce <!(ui est raconté des possédés, du témoignage rendu parles démons au « Fils de Dieu », d>i silence que Jésus leur impose. Le tout forme une description artiticielle et vague, d'où Ton ne saurait dégager un élément de tradition solide.

Non moins confus est le récit de la vocation des Douze. On dirait que nulle donnée précise n'existait sur le sujet, et que lévangéliste, sans être docu- menté autrement que i)ar une tradition générale louchant l'existence même du groupe apostolique après la mort de Jésus, a voulu en dater, localiser et décrire approximativement l'institution. La mise en scène est des plus indécises : Jésus, sans doute pour être libre et se soustraire à lempressement de la foule, se rend à « la montagne ». probablement

COMMENTAIRE IH

démons : "' Simon, à qui il attribua le nom de Pierre ; '^ Jacques de Zébédée, et Jean son frère, à qui il donna le nom de Boanergès, c'est-à-dire « fils du tonnerre » ; ^^ André, Phi- la région ^montagneuse qui avoisine Capharnaum, au nord-ouest du lac de Tibériade; là, il appelle ceux qu'il veut, et ces élus s'en vont près de lui; il fait en sorte qu'ils soient douze et il les destine à être avec lui, à prêcher, à chasser les démons. Au lieu (le chercher comment Jésus, parti seul, à ce qu'il semble, pour la montagne, a i)U faire venir à lui les Douze, car il est surperlUi de conjec- turer les circonstances vraisemblables d'un fait qui n'a pas eu de réalité, mieux vaut considérer la portée doctrinale des termes employés par le rédac- teur : Jésus appelle ceux (\\x'\\veut; il ne s'agit pas dim message transmis, mais d'une élection souve- raine, qui n'est pas loin d'être un choix divin; les appelés « s'en vont » à lui, quittant tout pour le suivre, comme il a été marqué dans les premiers récits de vocation. Perspective théologique et de convention.

La liste des Douze a pu être empruntée soit à un document écrit, soit à une tradition orale. A l'élection des apôtres est rattachée la substitution du nom de Pierre à celui de Simon, qui ne sera plus désormais employé que dans une circonstance il y avait lieu de le rappeler (xiv, 37). La forme araméenne, Géphas, avait été remplacée de bonne heure par son équivalent grec, que donne l'Évan-

H2 i.'kvanoile selon marc

lippe, Barthélémy, Matthieu, Thomas, Jacques (i'Alphée, Thadclée, Simon le Cananéen, '" et Judas Iscarioth, celui qui le trahit.

-<^ Et il vint à la maison; et la foule s'y

gile. Le nom de Pierre, comme il est introduit, paraît signifier quelque chose de ce que dira Mattiiicu (xvi, 18) : Simon, le premier disciple que J(''sus a recruté, devient la pierre fondamentale du collège apostoliijue et de la société à former pour le règne de Dieu. Mais on ne saurait dire si cette interpré- tation du surnom remonte au Chri.st lui-même. Les deux fds de Zébédée ont été appelés '< fils du ton- nerre », et les commentateurs admettent que c'est à cause de leur zèle ardent. La formule sémitique a été expliquée par l'évangéliste, parce que la tra- dition n'en avail pas fait grand usage, le surnom n'élnnl pas individuel et les deux frères n'ayant |)asdù être appelés ainsi hors de la Palestine ou bien même du cercle primitif de l'Eglise apostolique. A part les quatre premiers de la liste et le dernier. Judas le traître, les noms manquent pour nous de signification hisloricjue, et il ne semble pas que l'évangéliste lui-même en ait su beaucoup plus long à leur sujet.

On voit ensuite ce que la famille de Jésus pensait de lui, ce que les pharisiens disaient de ses mi-

COMMENTAIRE H3

assembla de nouveau, à tel point qu'ils ne pou- vaient pas même prendre de nourriture. -^ Et

racles, et comment Jésus répondit au jugement des pharisiens, à la démarche de sa famille. Ce qui regarde les pharisiens, très gauchement inséré dans ce qui est dit de la famille, se présente comme une surcharge rédactionnelle, empruntée sans doute au recueil des discours du Christ, à la source Matthieu et Luc ont puisé la relation de la même dispute entre Jésus et les pharisiens.

La mise en scène est conçue par rapport à l'inci- dent de la famille; elle ne se rattache aucunement à ce qu'on vient de lire sur la vocation des Douze ; elle se relierait plus naturellement aux anecdotes concernant le sabbat. II est dit que Jésus, un cer- tain jour, vint •( à la maison », et que le peuple s'assembla « de nouveau ». Référence au rassem- blement qui encadre la guérison du paralytique. La maison dont on parle est donc la maison de Pierre à Capharnaiim. Comme dans la précédente occasion, Jésus est censé parler à la foule ; mais Tévangéliste lient seulement à signaler l'empresse- ment du peuple et l'encombrement du logis, qui ne permettent pas même au Christ et à ses disciples de prendre leur nourriture. Il semblerait que les parents se mettent en route parce qu'ils ont appris que Jésus est ainsi bloqué. Mais ce n'est pas ce qu'a voulu signifier l'évangéliste. Les parents ne diraient pas que Jésus est hors de .sens, parce qu'il n'a pas, à un moment donné, la liberté de manger.

8

11-4 i/kvangii.e selon marc

les siens, i^i') ayant appris, sortirent ponr le saisir, car ils disaient : « Il est hors de lui. »

Ils ont connu le brtiil que soulève sa prédication; n'y comprenant rien, ils songeut aussitôt à le ramener de force chez eux; quand ils arrivent, ils se heurJenI à la circonstance marquée dans le préambule : une véritable foule obstrue l'accès de la maison.

Oui sont ces parents de Jésus et d'où viennenl-ils? Les personnes en question ne [)euvenl être ({ue celles qui, un i)eu plus loin, chercheront à voirie Christ, et elles sont désignées plus particulière- ment : c'étaient sa mère et ses frères. Ce qui est dit maintenant à leur sujet prépare leur intervention ultérieure; et .si les deux groupes étaient distincts, on ne voit pas ce que signifierait la mention du pre- mier, dont la démarche n'aurait plus de conclusion. " Les siens » ne peuvent être les disciples, bloqués avec .Jésus lui-même, ni d'autres adhérents qu'il aurait eus à Capharnaiim et qui auraient voulu le protéger, vu ([ue le texte ne comporte ce sens ni pour ce qui est delà qualité des personnes ni pour ce qui est de leurs intentions. Il ne semble pas que la famille demeure dans l'endroit est Jésus. On risqueraitd'aulant plus de s'égarer en la supposant à Cana, sur la foi du quatrième Évangile (cf. Jean, H, 1, 12), que Marc laissera bientôt (vui,,o) entendre quelle n'a pas cessé d'être domiciliée à Nazareth.

A la rigueur, on pourrait traduire : « Et les siens sortirent pour le prendre, parce f\i\'on dirait : Il est

I

COMMENTAIRE

115

~2 Et les scribes qui étaient descendus de Jérusa- lem disaient : « 11 a Beelzeboul, et c'est par

hors de sens. » Mais celte interprétation est peu naturelle. L'évangéliste a voulu montrer ce que pensait de Jésus sa propre famille, et ce pourquoi elle était venue le chercher. Le jugement ne méri- terait pas d'être mis en parallèle avec celui des pharisiens s'il venait de personnes quelconques; et la démarche des parents n'a de signification que si le propos qui est censé l'avoir motivée exprime leur sentiment. Ils ne disent pas que Jésus ait perdu la raison, le mot qui leur est attribué n'ayant pas cette acception précise dans l'usage du Nou- veau Testament et pouvant désigner tout trans- port d'étonnement, d'admiration, de stupeur, d'en- thousiasme ; mais ils le croient dans un état d'exaltation mystique qiii lui fait perdre le sens de la vie réelle et de sa propre condition. Leur pro- jet n'est pas de le soustraire provisoirement aux inconvénients de sa popularité, mais de le tenir sous bonne garde chez eux.

Le récit s'interrompt brusquement pour faire place à la dispute de Jésus avec les pharisiens. On dirait que l'opinion de la famille a évoqué dans l'es- prit du narrateur un autre jugement non moins défavorable, et qui était celui d'adversaires décla- rés. Les scribes descendus de Jérusalem disaient : « Il a Beelzeboul. » Ces scribes interviennent ino- pinément, comme dans l'histoire du paralytique, pour le besoin qu'a deux le rédacteur. Étaient-ils

1 H> L KV.\.N*;il.E SELON MABC

le prince des démons qu'il chasse les démons. » '■^ Et les ayant appelés, il leur dit en para- boles : « Comment Satan peut-il chasser Satan? -^ Si un empire est divisé contre lui-mT-me, cet

dans la foule (pie le même rédacteur a rassemblée de toute la Palestine du, 7-8j? On est invité sans doute à le supposer. Rien n'indique le motif de leur jugement. Dans Matthieu (\u, ii2-24) et dans Luc [XI, 14-15), la dispute sur les exorcismes est précédée d'une guérison de possédé, à l'occasion de laquelle s'engage le débat. Lévangélisle a omis ce préambule, dans riulérèt de sa combinaison rédactionnelle, mais il le connaît, et l'on peut presque dire qu'il le suppose connu. L'assertion : « Il a Beelzebeul », le remplace en quelque façon et sert à rejoindre la donnée de la source commune aux trois Synoptiques : « C'est par le prince des démons qu'il chasse les démons. » Cette parole, avec la réponse du Christ, atteste la grande place ({ue les exorcismes ont tenue dans le ministère de Jésus.

Ni l'origine ni même la lecture du nom de Beelze- boul ne sont tout à fait certaines. Beelzeboul est la forme ordinaire dans les manuscrits grecs. Saint Jérôme et la Vulgate lisent Beelzebub, et cette lecture est considérée comme représentantla forme du nom la plus anciennement usitée. Le dieu de la ville philistine d'Akkaron, dont l'oracle était célèbre au temps des rois d'Israël, s'appelait Baal-Zebub (cf. 11 Rois, I, 2). Étyraologiquement, la formule

COMMENTAIRE 117

empire ne pourra subsister. ''"^ Si une maison est divisée contre elle-même, cette maison ne pourra tenir. '^'' Si Satan se lève contre liii-

sig-nifierait : « Seigneur des mouches » (ou : sei- gneur de Zeboub ?). Le nom du faux dieu d'Akkaron, qui avait été en son temps et qui demeurait un rival de lahvé, aurait été attribué au prince des démons. Pour expliquer la forme Beelzeboul, on invoque soit une simple altération phonétique dans le grec, soit une substitution voulue du mot :ébel, « ordure », au mot zebub. Beelzeboul, en sémitique, sig-nilierait plutôt » maître de la demeure », ce qui pourrait s'entendre du monde souterrain. Peut-être n'y a-t-il derrière celte confusion qu'une faute d'orthographe et un jeu de mots. Le mot araméen qui signifie «ennemi » ressemble fort à Beelzebub; or Satan est l'adversaire, l'ennemi; il est qualifié tel en plusieurs endroits de l'Évangile et dans tout le Nouveau Testament. On a pu, à cause de l'asso- nance, identifier, soit inconsciemment, soit par rétlexion, l'ennemi de Dieu à l'antique et célèbre divinité d'Akkaron.

L'évangéliste ne dit pas comment .Jésus a connu les propos des scribes. Le Christ les appelle, comme s'ils n'étaient pas dans son auditoire, et il leur répond en paraboles, c'est-à-dire, si l'on veut entendre l'évangéliste, par un discours très profond qui n'est pas fait pour être compris de ceux à qui il s'adresse. Le rédacteur exploite ainsi par anticipation la mise en scène du discours des paraboles (iv, 2), et il ne

118 1,'kvangile selon marc

même et se divise, il ne peut tenir et il est à sa lin. -' Mais nul n." peut, étant entré dans la

réussit pas à donner à la réjjonsc de Jésus une introduclion naturelle.

Avant les " paraboles » vienl une interrogation qui montre tendent les arguments pro{x>sés : 1' Satan peut-il chasser Sal.au? » Les démons sont coninie une société organisée sous un seul chef; ainsi l'on peut dire que Satan est chassé dans la personne de ses subordonnés, et que ce ne peut être lui qui se persécute de la sorte. L'absurdité de l'hypothèse ressort ensuite de deux comparaisons. Dans la première, Jésus propose l'exemple de deux choses dont l'unité garantit l'existence et que la division détruit, à savoir une monarchie et une famille : emph'c et jnaison divisés tombent infail- liblement. Si donc Satan se combat lui-même, il est perdu. Et bien que l'hypothèse ne soil pas vraie, la conclusion demeare: l'empire de Satan s'écroule parce que Satan a trouvé plus fort que lui. Ainsi est amenée la comparaison de Tliomme armé. Dans la pensée de .lésus, le fort était un type comme le semeur, le maître de maison, le voleur et les autres personnages de parabole. Un hercule qui sait user de ses membres et de ses armes est maître chez lui : ce qui lui appartient ne peut lui être enlevé que par un plus foii que lui. Si Satan n'est plus maître en ce monde, c'est que lui-même a trouvé son maître. 11 va sans dire que, pour l'évan- géliste, l'homme fort est Satan; sa maison est la

COMMENTAIRE 119

maison du fort, prendre ses meubles, si d'abord il ne lie le fort ; et alors il pillera sa maison. »

28 « Je vous dis en vérité que tous les péchés seront pardonnes aux fils des hommes, ainsi que tous les blasphèmes qu'ils auront proférés; -^ mais celui qui aura blasphémé contre l'Esprit- Saint n'aura jamais de pardon, il est punissable d'une faute éternelle. » •^'^ Parce qu'ils avaient dit : « Il a un esprit impur. »

■^1 Et arrivent sa mère et ses frères; et se te-

massfî des hommes qu'il tyrannise; ses outils sont les démons, et celui qui, après l'avoir lié, met sa maison au pillag-e, n'est pas autre que le Christ.

La calomnie soulevée contre Jésus à propos de l'expulsion des démons est regardée par le Christ lui-même comme un blasphème conli*e le Saint- Esprit, par la puissance duquel il chasse lesdémons. Tous les blasphèmes sont susceptibles de pardon, excepté celui-là; c'est une faute qui a des consé- quences pour l'éternité. Donc les auteurs de cette calomnie sont exclus par Jésus du royaume des cieux. L'évangèliste a soin de souligner que le blasphème irrémissible est précisément ce que les scribes ont dit d'abord : « 11 a un esprit impur. » Mais cette remarque lui sert surtout à rejoindre son point de départ, la démarche des parents du Christ, qu'il a laissés sur le chemin de Capharnaûm pour s'occuper des scribes et de Beelzeboul.

Après ce qui a été dit de leur opinion sur Jésus

120 i.'kvangile selon marc

nant dehors, ils chargèrent des gens de l'appe- ler. •' Et la foule était assise autour de lui, et on lui dit : « Voici dehors ta mère et tes frères, qui te demandent. » -^^ Et leur répondant, il dit : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères?»

et de leurs intentions à son égard, on s'explique l'accueil que le Christ fait aux siens et la suprême indilTérence avec laquelle il parle d'eux. Sa mère est avec ses frères. S'il n'est point question du père, c'est probablement que Joseph était déjà mort. Empêchés par la foule d'arriver jusqu'au prédicateur, ils n'ont daulre ressource que de le faire appeler en signalant leur présence à quelques personnes des dernières de l'assistance, avec prière de transmettra' l'avis de rang en rang jusqu'à Jésus dans l'intérieur de la maison. Ainsi la réponse du Christ ne sera pas donnée devant eux, et ils n'au- ront pas le désagrément de l'entendre. On doit sup- poser que Jésus connaît ou devine le motif qui les amène, et que son parti est pris d'avance. Il va déclarer positivement que sa mission prime tous les liens de parenté, si tant est qu'elle ne les dé- truise pas, et il commence par demander à ceux qui lui communiquent l'avertissement: « Qui est ma mère et qui sont mes frères? » comme s'il voulait refuser cette qualité à ceux qu'on vient de nommer tels. Puis, regardant le cercle bienveil- lant et admiratif de ses auditeurs les plus rappro- chés, sans doute les disciples, il dit : « Voici ma

COMMKNTAIRE 121

■^'' Et regardant ceux qui étaient assis autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. ■^•^ Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma sœur, et ma mère. »

IV. ^ Et il se mit de nouveau à enseigne^ de la mer; et une grande foule s'assembh

mère et mes frères ». Mais cette parenté n< -1 p.'is un privilège exclusif; elle appartient à tous ceux qui font la volonté de Dieu en recevant le message évangélique. Ceux-là sont pour Jésus frère, sœur et mère.

La mention des sœurs ne prouve pas qu'elles fussent présentes. Mais Jésus n'avait pas d'autres proches parents que ceux qu'il énumère. Les sœurs n'avaient aucune raison de quitter Nazareth; la mère est venue parce qu'elle croyait avoir autorité sur son fils, et les frères parce qu'ils pensent avoir la force pour ramener Jésus à la maison. Si le Christ ne dit pas que celui qui fait la volonté de Dieu sera son père, c'est que ses interlocuteurs n'ont parlé que de sa mère, et que, d'ailleurs, il ne se reconnaît plus qu'un père, celui du ciel.

Les paraboles du royaume de Dieu, dont quelques- unes vont être rapportées, ont été prononcées en des occasions diverses. Dans le cadre elles sont

15^

L EVANOn^E SEI.ON MARC

de lui, en sorte que, montant dans la barque, il s'assit dans la mer ; et toute la foule était sur le rivage, à terre.- Et il leur enseignait beau- coup de choses en paraboles, et il leur disait dans son enseignement : -^ « licoutez 1 Voici que le semeur sortit pour semer ;^ et pendant qu'il

placées, elles servent à donner un échantillon de la forme d'enseignement public adoptée par Jésus et à montrer comment et pourquoi le peuple juif n'a pas profité de cet enseignement. Les deux inten- tions apparaissent comme superposées dans notre Kvangile, l'on a déjà pu lire plusieurs paroles de Jésus, mais aucun discours suivi, et les para- boles semblent se présenter d'abord comme un spécimen de prédication ordinaire du Christ, non comme un genre nouveau qu'il aurait choisi, en vue d'un but spécial, à un moment donné de son ministère.

Ayant éconduit sa famille, Jésus continue à se donner tout entier à sa prédication. L'évangéliste le fait voir enseignant « de nouveau » près de la mer (allusion à u, 13; cf. m, 7-9) ; pour donner une idée de cet enseignement, il raconte ce qui arriva et ce qui se dit certain jour le peuple s'as- sembla autour de Jésus en si grand nombre que le prédicateur, pour se soustraire à la presse, monta dans une barque (on a vu plus haut que la barque de III, 9, est dérivée de celle-ci). De cette barque il était assis non loin du rivage, le Christ haran-

COMMENTAIRE 123

semait, (dugraiii; tombasiif le chemin, et les oi- seaux vinrent et le mangèrent ;■' et il en tomba d'autre sur le sol pierreux, il n'eut pas beau- coup de terre, et il leva bientôt, parce qu'il

f,mait la foule massée au bord de la mer. <i II ensei- ^niail beaucoup de choses eu paraboles. » L'évan- gëliste le dit pour allirer rattention sur ce mode d'enseiguemeut. non spécialement suj* les paraboles qu'il va reproduire. L'histoire du Semeur est amenée comme la principale chose qu^e Jésus a dite, ce jour-là, w dans sa prédication ».

L'apostrophe : " Ecoutez! » a une significalion particulière dans Marc ; elle est en rapport avec la conclusion : >< Entende qui a des oreilles pour entendre ! » Les deux correspondent à l'idée que l'évangéliste se fait des paraboles : propos mys- térieux que le commun des auditeurs est incapable de comprendre, et qui réclameraient une attention spéciale, même des plus intelligents, s'ils étaient bien disposés. Dans la bouche de Jésus, ces for- mules n'auraient été qu'un appel à l'attention des auditeurs.

La parabole du Semeur est empruntée aux con- ditions de la vie champêtre et de l'agriculture palestinienne. Elle met eu scène « le semeur »,qui «i est sorti » de chez lui « pour semer ». Selon la lettre, le semeur est l'homme dont la fonction est de semer, et qui peut être désigné ainsi comme un individu déterniiné, au lieu qu'on dise : « un se-

124 l'évangile selon MARf;

n'avait aucune protondeur de terre; '■ et quand parut le soleil, il fut brûlé, et parcequ'il n'avait pas de racine, il se dessécha;" et il en tomba d autre sur les épines, et les épines montèrent

meur », (juoique la parabole décrive un lail géné- ral sous l'apparence d'un cas particulier. Mais, comme les évangélisles. cl Marr le premier, en- tendent la parabole allégoriquement, voyant dans le semeur Jésus lui-même, c'est peut-être pour ce molif qu'ils ne disent pas: « un semeur », le Christ étant le semeur par excellence. En réalité, le se- meur est un semeur, et la semence du grain, plus précisément du blé. Le semeur jette son grain à la volée, et il en tombe sur le chemin qui avoisine le champ : ce grain est mangé par les oiseaux. Il tombe aussi du grain sur les endroits pierreux, il y a une couche très mince de terre végétale ; le grain n'en pousse que plus hâtivement, mais il est brûlé presque aussitôt par le soleil. Dautre grain tombe dans les épines, germe et dure plus long- temps, mais sans arriver à maturité, parce que les épines montent plus vite et l'étouffent. Ces épines ne sont pas un buisson dans le ch-amp. ni une haie alentour, mais des ronces dont on n"a pas extirpé la racine, et qui repoussent dans le champ après les semailles. Enfin le grain qui est tombé en bonne terre, il n'y a ni pierres pour l'empêcher de s'en- raciner, ni épines pour l'empêcher de grandir, pousse, atteint son entier développement, et rap- porte trente, soixante, cent pour un. Ce que

COMMENTAIRE

125

et l'étoutfèrent, et il ne donna pas de fruit ;^ et il en tomba d'autre sur la bonne terre, et il

Tévangélisle appelle « fruit » nest pas le grain mûr de l'épi nouveau, mais Tépi ou le grain se for- mant dans l'épi ; c'est pourquoi il dit que le fruit monta et grandit : expressions peu claires, qui s'appliqueraient mieux peut-être aux fruits de la parole, aux bonnes oeuvres, qu'à la croissance du blé. La diversité des chiffres, qui sont approxi- matifs et n'ont rien d'exagéré, signifie l'abondance de la récolte. D'après ce qui arrive ordinairement, on ne peut supposer que les quatre parts du grain répandu par le semeur aient été égales, et il n'est pas dit ({ue la quantité de semence utile soit infé- rieure à la quantité de semence perdue.

Désignée par son objet pour la place que la tra- dition lui a donnés en tête du recueil des para- boles, l'histoire du Semeurdevait, à raison de cette place, au moins autant que pour la leçon qu'elle contenait, attirer à elle les idées générales que les premières générations chrétiennes se formèrent au sujet de l'enseignement parabolique. Considérée en elle-même, cette parabole offre un sens des plus faciles : de même que, lorsqu'on sème du blé, une partie de la semence est perdue et n'arrive pas à maturité, soit parce que les oiseaux l'ont mangée d'abord, soit parce qu'elle a été brûlée en herbe, soit parce qu'elle a été étouffée en tige, et qu'une partie seulement prolite en des proportions di- verses, ainsi la parole évangélique est perdue pour

12() LIÎVANGILE SELON MARC

donna un fruit qui monta et grandit, et il rap- porta trente, soixante, cent (pour un;. » ■' Et

beaucoup, parce que les uns ne la gardent pas après lavoir entendue, et que l'impression qu'elle fait sur d'autres est passagère, disparaissant chez ceux-ci un peu plus tôt, chez ceux-là un peu plus tard, selon les occasions, et elle ne produit que chez les hommes de bonne volonté un fruit abon- dant et varié. La ressemblance n'est pas entre les causes qui amènent la perte de la semence et celles qui amènent 1 inefficacit»^ de la parole, mais dans la perte même de l'une et de Taulre, et dans le temps plus ou moins long qui s'écoule entre l'en- semencement du grain ou de la parole et la con- sommation de cette perte : comme il y a du grain qui est perdu tout de suite, d'autre qui lève et d'autre même qui a le temps de grandir, mais n'ar- rive pas à produire un épi, ainsi trouve-t-on des auditeurs de la parole qu'on pourrait appeler dis- ciples d'un instant, disciples de quelques jours, disciples de quelques semaines, mais qui ne sont pas réellement disciples, parce qu'ils n'ont pas la foi ferme et la volonté persévérante qui sont la con- dition du salut.

L'accent de la comparaison ne portant pas sur la proportion, mais sur la différence des résultats, si l'on n'en peut conclure que la prédication évan- gélique soit utile au plus grand nombre, du moins est-il évident qu'un succès notable est supposé dans l'application de la parabole. II en est de la

COMMENTAIBE l'27

il dit : « Qui a des ore'illes pour entendre en- tende! »

parole comme du grain. Sa réussite ne dépend pas uniquement du prédicateur, mais de l'auditeur; à chacun de voir l'auditeur qu'il veut être ; la pa- role fructifie dans l'auditeur de bonne volonté.

Telle étant la signification de cette parabole, il est impossible que la déclaration touchant le but général des paraboles, qui serait l'aveuglement des auditeurs, se rattache hisloriquement à la fable du Semeur. Celle-ci dit que la semence porte fruit, et il n'est pas douteux (jue l'intention actuelle du prédicateur soit conforme à celle du semeur : les semailles se font en vue du grain qui poussera, la prédication est donnée pour les auditeurs qu'elle touchera. On ne conçoit pas que Jésus ait pu dé- clarer dans la parabole qu'il semait la parole pour qu'elle rendît son fruit, et qu'il se soit vanté aus- sitôt après de parler en paraboles pour empêcher son auditoire de comprendre la vérité qui aurait pu le sauver ; à quelques minutes d'intervalle, il aurait démenti devant les disciples ce qu'il venait d'affirmer devant le peuple. Ce qu'on lui fait dire sur le but de renseignement parabolique appar- tient à un autre ordre d'idées que la parabole : théorie de théologien, mal accrochée à un Irait d'observation réelle; dans celui-ci apparaît l'ex- périence du prédicateur, et dans celle-là le souci apologétique des temps qui ont suivi.

128 LKVANGILE SELON MARC

'0 Et quand il fut seul, ceux qui l'entouraient, avec les Douze, linterrogèrent au sujet des pa-

Selon la mise en scène que Tévan^élisle a es- quissée au début du chapitre, Jésus assis dans une ban|ue sur le lac, a commencé à dire des para- boles, il a laconlé l'histoire du Semeur; avant qu'il passe à une autre, il est censé se retirer à l'écart et être interrogé non seulement par les Douze, mais par d'autres personnes qui auraient formé sa suite ordinaire. S'est-il donc éloigné en mer, et ceux qui le questionnent étaient-ils tous avec lui dans la même barque ? Après l'explication de la parabole, et sans qu'on ait pris soin de ramener la barque vers le rivage, d'autres paraboles sont introduites; le lecteur s'aperçoit à la fin qu'elles ontété pronon- cées devant le peuple par Jésus resté dans la barque, à l'endroit il était pour dire le Semeur ; c'est le soir seulement qu'il demande à ses disciples de gagner le large vers l'autre rive du lac. Ainsi l'explication de la première parabole se trouve en dehors du cadre tracé pour le récit; elle n'est pas anticipée, car on ne dit point quand Jésus se trouva seul, et on le conduit à l'écart sans l'éloigner, l'é- cart n'étant que pour situer l'explication de la pa- rabole par rapport à son texte, indépendamment du cadre général; l'explication et son introduction particulière se présentent comme une enclave, une intercalation survenue dans la rédaction d'un dis- cours qui contenait un certain nombre de para- boles sans explication.

COMMENTAIRE

129

raboles, " et il leur dit : « C'est àvous qu'a été donné le mystère du royaume de Dieu ; mais à

Dans cette enclave même, la rédaction n'est pas homogène. On lit d'abord que ceux qui entouraient Jésus « lui demandèrent les paraboles », c'est-à- dire, à en juger par la réponse, qu'ils interrogent le Christ touchant la raison d'être de l'enseigne- ment parabolique en général. La question ne laisse pas d'être peu naturellement présentée, et elle est é({ui\oque parce qu'elle prépare maintenant deux réponses. Les disciples sont supposés demander X les paraboles », c'est-à-dire pourquoi Jésus parle en paraboles, et aussi « la parabole », c'est-à-dire l'explication du Semeur. La formule de cette se- conde demande, au singulier, serait beaucoup plus satisfaisante, et c'est à la question ainsi comprise que correspond la seconde réplique de Jésus : « vous ne comprenez pas cette parabole? » qui ar- rive maintenant sans introduction. Ainsi la pre- mière réponse vient en surcharge de la seconde, et c'est en vue de cette première réponse que l'on a écrit : « les paraboles », au lieu de « la parabole ». L'artifice de la seconde intercalation n'est pas moins rudimentaire en son genre que celui de la première.

Grâce à l'imperfection de ces sutures, on peut distinguer trois moments de la rédaction, qui sont en rapport avec l'évolution de la pensée tradition- nelle touchant les paraboles : une première relation écrite donnait, en exemple de l'enseignemenl évan-

9

130 LÉVANGII.E SELON MARC

ces geus du dehors tout arrive en paraboles, '- afin qu'ils rej,^ardent bien et ne voient pas, (ju'ils

gélique, une série de paraboles, sans commentaire parce que l'on n'y remarquait aucune obscurité; une seconde rédaction, les disciples demandent et obtiennent l'interprétation de la parabole du Se- meur, donne à supposer (jue les paraboles, ainsi qu'il était inévitable, ont paru uioins claires au bout d'un certain temps, (jue l'on sest préoccupé du médiocre succès qu'avait obtenu auprès des Juifs la prédication évangéljque, plus encore peut- être du peu de solidité de certaines conversions, et que l'interprétation du Semeur a fourni l'expli- cation dont on avait besoin ; enfin la dernière ré- daction montre que l'on a creusé plus avant, que l'on a voulu avoir la raison profonde soit de l'obs- curité des paraboles, désormais ac(iuise à la tradi- tion, soit de l'aveuglement d'Israël ; comme on trouvait sans peine la cause de cet aveuglement dans un décret providentiel de réprobation qui impliquait l'endurcissement préalable, et qu'on ne pouvait songer à voir un défaut dans ,1 imaginaire obscurité des paraboles, on se persuada que ce genre mystérieux d'enseignement avait été choisi tout exprès par le Christ lui-même afin d'assurer l'accomplissement des desseins de Dieu sur son peuple : le judaïsme ne s'est pas converti {)arce qu'il ne devait pas se convertir '^cf. Rom., ix, 18-2'J : X, i6-21 ; XI, 8-lU;. et la vérité évangélique lui a été proposée en énigme pour qu'il ne put pas la voir

COM.MENTAIBE 131

écoutent bien et ne comprennent pas, de peur

ni se sauver. A cette dernière étape, l'Évangile apparaît transformé en religion de mystère avec sa doctrine et ses rites propres, réservés aux initiés, qui seuls sont capables d'en percevoir le sens profond, comme ils sont seuls à en éprouver la vertu. Dans cette conception du christianisme, il est tout natu- rel que les paroles de Jésus, surtout les récits para- boliques, aient une signification mystique, comme les actes du Christ : au symbolisme de ceux-ci correspond le sens allégorique de ceux-là.

Derrière la réponse que Marc prête à Jésus il y a le texte d'Isaïe (vi, 9-10), dont Matthieu (xiu, 14-loj fait la citation expresse. Isaïe a reçu mission damener, par des oracles qu'on ne com- prendra pas, l'endurcissement du peuple élu et la ruine qui punira cet endurcissement : l'enseigne- ment de Jésus a la même fin providentielle que celui d'Isaïe, ou plutôt il réalise définitivement ce qu'avait annoncé le prophète ; ce n'est pas Isaïe, c'est Jésus qui a parlé pour endurcir Israël et procurer sa réprobation. A ceux qui lui demandent la raison des paraboles le Christ répond : « Le se- cret du royaume de Dieu vous est donné à vous ; mais à ces gens du dehors tout vient en paraboles », c'est-à-dire on ne propose rien que des paraboles, selon la remarque faite dans la conclusion du récit (y. 34j, L'Évangile est censé être à la fois un en- seignement ésotérique, clair pour ceux qui croient, on pourrait dire pour ceux qui ont été appelés à

132 l'ÉVANGir.E SELON MARC

qu'ils ne se convertissent, et quil ne leur soit pardonné. »

rinilialion el qui l'ont reçue, et uu enseigne- ment exotérique, obscur pour la masse, pour ceux qui ne sont pas appelés, qui ne doivent pas être initiés. Ce qui est vérité lumineuse et salutaire pour les uns est pour les autres énigme ténébreuse et funeste.

L'idée d'un tel enseignement est aussi étrangère que possible à resj)ril de .lésus, qui jamais n"a pré- senté comme un mystère le royaume dont il annonçait lavènemenl. Le mot et l'idée de mystère sont d'origine païenne. L'évangéliste entend par l'économie du salut, telle que Paul l'a comprise, le lait et la doctrine de la rédemption, secret divin dont l'intelligence n'est attribuée qu'aux prédes- tinés, avec le don de la foi. Ce n'est pas non plus le Christ qui aurait considéré ses auditeurs ordi- naires comme étant gens « du dehors ». Le rédac- teur se figure les disciples de .Jésus comme un groupe constitué à l'écart du judaïsme, ainsi que les communautés de son temps l'étaient vis-à-vis des synagogues, et ce doit être pour cette raison qu'il mentionne à côté des Douze, ceux-ci ne suffi- sant pas à conslituer sa petite Eglise, « l'entou- rage », groupement plus considérable, inconnu au reste de l'Évangile.

Cette théorie jure avec le contexte, l'on voit le Cdirist lui-même s'étonner que les apôtres ne comprennent pas les paraboles, et il est peut-être

COMMENTAIRE 133

'^ Et il leur dit : « Vous ne savez pas cette pa-

oiseux de chercher commenl l'évangéliste conci- liait ces éléments disparates. On doit croire que, parlant du mystère chrétien, il songe beaucoup moins aux disciples de Jésus qu'aux chrétiens en général. La position singulière qu'ilprendra dans la suite à l'égard des Douze, les montrant constamment inintelligents devant le mystère du salut, peut expli- quer comment la contradiction qui trappe mainte- nant les critiques ne Ta pas louché. Selon lui. les apôtres galiléens participent largement à l'aveugle- ment des Juifs, mais ils ont bonne volonté, ils re- tiennent ce qu'ils ne comprennent pas. et sans doute ils arriveront ultérieurement à le comjirendre plus ou moins. En tout cas, ils en sont les dépositaires, et ce ne doit pas être pour rien que l'évangéliste dit que le secret leur a été donné ; il ne dit pas, et pour cause, qu'il leur ait été accordé'de le bien connaître. Le rédacteur paulinien tient à faire valoir la notion générale du mystère chrétien qu'il doit à l'Apôtre des Gentils, mais il tient plus encore, on le verra bientôt, à montrer que, si la lettre en a été confiée aux premiers apôtres, ce n'est pas à eux qu'on en doit l'intelligence. La combinaison des idées de Paul avec la tradition proprement évangélique ne pouvait se faire que moyennant de hardis partis pris et une logique sans sévérité. Notre évangé- liste s'y est employé des premiers, avec plus de zèle que de talent littéraire.

La reprise : « Et il leur dit », rattache artificielle-

134 I.'KVANr.IIF. SFJ.O.N MARC

rabole? El comment connaîtrez-vous toutes les paraboles? '^ Le semeur sème la parole ; '^ et ceux qui sont le long^ du chemin la parole

ment roxplication tlii Semeur h In ré[>onse qui a été intercalée auparavanl. La reniar(|iie de Jésus : « Vous ne romprene/. pas relie [)aral)ole ! comment doue eompreridre/.-voiis les autres? - doruierait à supposer que les paraboles n'étaient point si obs- cures, et fjue les disciples aui'aieut comprendre. L'explication qui suit est peut-être le morceau le plus mal construit qui soit dans les Kvani^iles. Elle commence par une proposition ifénérale : « Le semeur s^me la parole », ce qui s'entend du message évanfçélique. On veut donc signifier que le semeur de la parabole n'est pas un semeur de blé, mais que le grain qu'il répand est l'annonce du royaume céleste. Tout aussitôt la semence se trouve dési- gner, au lieu de la parole, les hommes qui l'ont entendue et à (pii Satan vient la prendre ; le rédac- teur parle môme des hommes qui sont « le long du chemin » : ce sont les gens qui entendent la parole en passant, et Satan fait qu'ils ne s'y arrêtent pas. Le grain sur le sol pierreux figure ceux qui reçoivent d'abord la parole avec joie, mais que la tribulation et la persécution ne lardent pas à décou- rager ; mêlant toujours l'image à l'explication, l'évangéliste dit qu'ils n'ont pas de racines en eux- mêmes, ce qui doit signifier que la parole ne s'enracine pas en eux ou qu'ils ne s'afTermissent pas dans la foi à la parole; ce sont des croyants

COMMENTAIKE 135

est semée sont ceux à qui, lorsqu'ils entendent, Satan vient aussitôt enlever la parole sêniée en eux; '"et (le même, ceux qui sont semés sur les

superficiels el d'un jour. Ceux « qui sont semés sur les épines » ont écouté la parole et la gardent plus longtemps que les précédents; mais les divers soucis que le monde porte avec lui, el qui sont incompatibles avec un désir sincère du royaume céleste, Tillusion des richesses qui promettent le plaisir et qui préparent la peine, l'ambition des honneurs et d'antres avantages terrestres font que la parole et la foi sont étoutîées avant de donner fruit. Les hommes grains semés en bonne terre sont ceux qui écoutent la parole et qui l'acceptent; quant au fruit, l'évangéliste ne dit rien de sa na- ture et répète simplement la fin du récit parabo- lique.

Ainsi la parabole signifierait, non par appli- cation et par manière de comparaison, mais direc- tement, ({ue la parole de Dieu manque son efi'et sur une partie de ceux qui l'entendent, ou par l'artifice du démon, ou par le défaut de courage devant la persécution, ou par la préoccupation des intérêts et des plaisirs terrestres, el qu'elle l'ob- tient chez d'autres qui la gardent, et en qui elle devient féconde. L'idée fondamentale de ce com- mentaire n'est pas que le résultat dépend des dispositions de chacun, car cette idée ne ressort nullement du premier cas; on fait dépendre le succès de la bonne volonté de ceux qui retiennent

136 LKVANGII.E SELON MARC

endroits pierreux sont ceux (jui, lorsqu'ils en- tendent la parole, la reçoivent aussitôt avec joie ; '" et ils n'ont pas de racines en eux-mêmes,

la parole, tandis que, sur les trois cas d'insuccès, deux sont attribués à la faiblesse et à l'esprit mon- dain de ceux qui ne persévèrent point. Il ne s'agit donc pas de montrer que le bon vouloir est la con- dition du salut, mais pourquoi l'Kvangile ne compte pas plus d'adhérents, pourquoi surtout il ne relient pas tous ceux (jui ont semblé l'accueillir. On veut rendre compte du déchet qui se produit sur les gains apparents de l'évangélisation. Cette explication suppose que ladhésion à l'I^vaugile est la profession d'une foi combattue au dehors el (jui exige, avant la récompense, une longue pratique du désintéressement et de la mortification; la communauté chrétienne est donc constituée; elle est persécutée au moins par les Juifs; de nom- breuses défections ont eu le temps de se produire, soit à raison des persécutions, soit pour des causes purement morales, par l'impuissance plusieurs se sont trouvés de rester fidèles à l'idéal qui les avait d'abord séduits. Si la personne du semeur s'efîace, c'est parce que l'on j)ense à la communauté, non au ministère personnel de Jésus. Le commentaire, d'ailleurs, ne sort pas naturel- lement de la parabole. Il veut se développer en allégorie, non en simple comparaison, et il ne vient pas à bout d'êti"e ce qu'il veut. On n'a pas su dire si le grain semé représentait la parole ou les

COMMENTAIRE

137

ils ne durent pas ; la persécution survenant ensuite à cause de la parole, ils sont aussi- tôt rebutés ; '^ et les autres, qui sont semés sur

hommes qui Font entendue, de sorte que le déve- loppement de la pensée, non seulement celui du discours, reste équivoque d'un bout à l'autre. Un prédicateur vulgaire peut être ainsi embarrassé dans la glose d'un texte donné; mais Jésus n'au- rait-il pas été plus à Taise dans l'application de sa table? La distinction des catégories d'auditeurs devait se faire d'après les sortes de terrain, non pas en partant de la semence, qui est la même dans tous les cas. Aussi peu satisfaisante est la corres- pondance dans les détails, bien que l'on puisse soupçonner l'évangéliste d'avoir plus ou moins accommodé le récit à l'interprétation. Satan peut-il être figuré par les oiseaux qui enlèvent le grain, ou leur être comparé? A ne considérer que le texte de la parabole, on ne supposerait pas que le narrateur établit dans son esprit un parallèle entre les oiseaux et le diable, entre le grain mangé et la parole effacée. Se douterait-on aussi qu'il y a une analogie étroite entre du blé à peine levé, que le soleil brûle, et des gens que la persécution décourage? L'influence des passions n'aurait-elle pu être retrouvée aussi facilement dans celle du soleil, et les difficultés extérieures dans les épines?

Jésus a pu dire la parabole du Semeur pour expliquer les résultats divers de sa prédication :

1."{H I.'lCV.VNfilI.F, SKI.ON MARC

les épines, sont ceux qui ont écouté la parole; ''^ et les soucis du monde, la déception des ri- chesses, les convoilises d'autre sorte, s'intro- duisan étouffentt, la [)arole, et elle est rendue stérile ;-° et ceux-là qui ont été semés sur la bonne terre sont ceux qui écoutent la parole et l'acceptent, et qui portent du fruit à trente, à soixante, à cent (pour uni. »

'' Et il leur dit : « Est-ce que la lampe vient

résultat n«^gal il" chez les uns, résultat positif chez les autres. La parîihole n'a pas d'autre objet, et le Seuieur ne contient pas la pensée essentielle du Christ sur sa [)ropre mission. Quant à l'explication qu'on vient de voir, elle peut être dans Marc un écho de la prédication chrétienne plutôt que l'œuvre toute personnelle d'un rédacteur; mais elle ne remonte pas jusqu'à .Jésus, et elle représente un travail rétléchi, non un souvenir authentique de la tradition.

Les commentateurs ont coutume de rattacher à l'explication du Semeur les sentences qui suivent, comme si elles étaient destinées à en compléter l'enseignement. Cependant la répétition des for- mules : « et il leur dit », «< et il dit », devant les morceaux qui ont été ici réunis, donne à penser que le rédacteur les a pris en divers endroits d'un do- cument plus ancien, et qu'il n'a pas eu la préten- tion d'en faire un discours suivi. Les paraboles de la Semence et du Sénevé sont introduites de la même

COMMENTAIRE 139

pour être mise sous le boisseau ou sous le lit ? N'est-ce pas pour être mise sur le support ? " Car il n'y a rien de caché que pour être

façon que la sentence de la lampe et celle de la mesure; Tévangéliste a pu voir dans celles-ci un enseignement particulier et distinct, tout comme dans celles-là, bien qu'il ait percevoir et voulu établir un certain rapport entre les morceaux ainsi rapprochés.

En elle-même la parole : « Entende qui a des oreilles pour entendre»! » ne convient pas à un en- trelien particulier et pourrait faire supposer que le mot sur la lampe est adressé au même auditoire que le Semeur; mais la sentence de la mesure concerne visiblement les disciples; l'invitation à entendre doit aussi les regarder; le rédacteur Ta répétée par imitation de la parabole [supr. v. 9). Jésus exhorterait les disciples à bien entendre le mystère qui leur est révélé [supr. v. 11); la lampe serait ce mystère même, venu dans le monde avec le Christ, et qui est actuellement voilé sous d'humbles apparences. Les profanes, et d'abord Israël incrédule, ne le voient pas; mais il éclatera brillant dans la manifestation du règne de Dieu. Sauf la préoccupation du « mystère », ce sens pourrait n'être pas très éloigné du sens primitif, les deux comparaisons de la lampe, qui est faite pour éclairer, et de la chose secrète, qui est faite pour être connue, ayant été dites par Jésus en vue du royaume céleste dont l'avènement devait être

140 I.KV.Wr.IF.E SELON MARC.

manifesté; rien n'est secret que pour venir au jour.--^ Si quelqu'un a des oreilles pour en- tendre, qu'il entende! »

'^ Et il leur dit : '< Faites attention à ce que vous entendez. Avec la mesure dont vous mesu-

la manifcslalioii de rÉvaiii;ile, de même ([ue rKvîHiij^ile était le royaume encore caché, la lampe (|ui n'est pas encore sur le support.

L'avis : « Faites attention à ce que vous enten- dez », avant la sentence de la mesure, est énoncé conform^ément à la théorie du « mystère » ; il ne vise pas précisément la responsabilité des disciples à l'égard des vérités qui leur sont confiées, ni la proportion qui existe entre le profit qu'on relire de la parole et l'attention qu'on y apporte. Les dis- ciples doivent être attentifs aux vérités que Jésus leur enseigne, parce que leur récompense en dépend. 11 ne saurait guère être question d'enseignement donné et reçu, qui serait complété par de nouvelles instructions, ou bien qui serait retiré, selon qu'on serait empressé ou non à le recueillir; mais il s'agit du salut même, proposé dans la parole. Si l'on est pénétré de la vérité salutaire, on recueil- lera le salut; car la gloire du royaume vient à qui possède la justice, et l'auditeur négligent perd les moyens de salut qui étaient à sa disposition. Mais la comparaison de la mesure est détournée de sa signification naturelle, qui est celle du discours sur la montagne : Dieu use envers l'homme de la mesure dont celui-ci use envei's son prochain

COMMENTAIRE 141

rez, il vous sera mesuré, et il vous sera sura- joute'.-^ Car à celui qui a Ton donnera ; et à celui qui n'a pas on enlèvera même ce qu'il a. » -^ Et il dit : « Il en est du royaume de Dieu comme lorsqu'un homme a jeté la semence sur la terre; '^ il se couche et se lève, la nuit et

(Matth., vh, 2); et le proverbe : « On donne à qui possède, on prend à qui n'a rien », est mieux à sa place dans la parabole des Talents (Matth., xxv, 29), l'évangéliste a le prendre. La combinaison de ces sentences, comme l'application des deux précédentes, est artificielle et secondaire, et le procédé du rédacteur se comprend mieux s'il dé- pend d'une source écrite, librement exploitée, que s'il puise dans une tradition orale authentique sur l'enseignement de Jésus.

Seule la parabole de la Semence appartient en propre à Marc. Elle commence par une formule de comparaison qui manque devant la parabole du Semeur, on l'a peut-être omise avec intention, dans l'intérêt de la mise en scène et de l'explica- tion allégorique. Nonobstant la construction gram- maticale, ce n'est pas à l'homme ni à l'action d'en- semencer que le royaume est comparé, mais au sort du grain qui est semé d'abord et qui pousse tout seul jusqu'à la moisson. Le laboureur a jeté la semence en terre ; cela fait, il s'en va et ne s'oc- cupe plus du grain qu'il a semé : il suit son train de vie, se couchant le soir et se levant le matin, sans autre souci. La semence, en effet, n'a pas

142 i.'kv.\n(;w.e selon mahc

le jour, el la semence germe et pousse il ne sait comment; ^d'elle-même la terre produitd'abord l'herbe, puis Tépi, puis du froment plein dans

besoin de lui pour germer et pousser; cela s'opère « sans qu'il sache comment », on ne dit pas : <' sans qu'il le sache », car il n'ignore pas si son grain est levé, ni s'il grandit et promet bien, mais il ignore comment s'accomplit la croissance, ce comment ('-tant le secret de Dieu, qui seul préside à la vie de la plante et fait croître la moisson. Dolle-méme et sans que l'homme y soit pour quelque chose, la terre produit d'abord le blé en herbe, puis le blé en chaume, enfin le blé mûr dans les épis. Alors seulement le laboureur repa- raît, il met la faucille au champ, parce que le temps lie la moisson est venu. Est-ce le grain ou la terre qui produit la moisson? Il n'importe; c'est l'un et l'autre, et mieux encore c'est Dieu par tous les deux.

Il en va de même pour le royaume des cieux ; mais l'objet précis de celte application n'est pas indiqué. On peut le deviner sans trop de peine. Le royaume de Dieu aussi est une semence dont le développement inévitable est indépendant de la volonté des hommes et de la volonté même du semeur. Comme le laboureur, Jésus sème le royaume en prêchant l'Évangile ; il ne lui appar- tient pas d'amener la moisson, c'est-à-dire l'avè- nement complet du loyaume, et l'on ne doit pas s'impatienter que cet avènement ne se profliiise

COMMENTAIRE 143

l'épi ; 29 et quand le fruit le permet, il (y) apporte aussitôt la faucille, parce cjue la moisson est arrivée. »

^^ Et il dit : u A quoi comparerons-nous le royaume de Uieu, et en quelle parabole le met- trons-nous? ^' Il est comme le grain de sénevé, qui, lorsqu'on le sème en terre, est la plus pe-

pas tout de suite ; c'est l'affaire de Dieu, comme le développement actuel et mystérieux du royaume est son œuvre el son secret; il n'en est pas moins certain que la moisson viendra sans tarder; car on ne sème ijuc pour moissonner; au moment voulu par la Providence, le semeur sera moissonneur. La parabole est donc parfaitement une el logi- quement équilibrée ; elle renferme un enseigne- ment qui convient au rôle historique de Jésus. Il n'y a pas lieu d'y voir un extrait arbitrairement pratiqué par un rédacteur sur la parabole de l'Ivraie dans Matthieu fxui, 24-30).

Les formules interrogatives (jui précèdent la parabole du Sénevé n'ont de raison d'être qu'au commencement d'un discours ; on en peut con- clure que l'évangéliste emprunte cette parabole à une source qui la présentait dans un autre contexte. Le sénevé est la plante à moutarde, qui peut at- teindre en Palestine une hauteur assez considé- rable. La comparaison ne porte pas sur la plante, mais sur son développement. De môme que le grain de sénevé lorsqu'on le jette en terre, le

lii l'évangile selon marc

tite (les semences qui sont sur la terre; ^~ et quand il a été semé, il monte et devient plus g^rand que tous les légumes, et il pousse de grandes branches, en sorte que les oiseaux du ciel peuvent s'abriter sous son ombre. »

33 Et c'est par un grand nombre de telles

royaume de Dieu esl presque imperceptible dans son commencement, c'esl-à-dire dans rÉvangile ; mais il grandira, el sa merveilleuse expansion paraîtra tout à fait disproportionnée a lexiguïté de ses débuts. L'attention ne se porte pas sur le caractère progressif du développement, mais sur l'extraordinaire dilTérence du point de départ et de la fin. Ce n'est donc pas la façon dont le royaume céleste se réalisera qui est visée, mais la magni- ficence de son accomplissement contrastant avec l'insignifiance de ses préliminaires dans l'Évan- gile. Dans la pensée de Jésus, si la parabole est authentique, il ne s'agirait point de la prédication chrétienne parmi les Gentils; mais on peut tenir pour certain que telle esl déjà l'idée de l'évangé- liste, et. que, pour lui. le royaume de Dieu tend à se confondre avec l'Église, dépositaire du salut, gar- dienne du mystère que le Christ a confié aux siens. Le rédacteur conclut en disant que Jésus ins- truisait le peuple au moyen de semblables para- boles, dont il connaît sans doute un assez grand nombre, bien qu'il n'en cite que quelques-unes. Le Christ enseignait ainsi ses auditeurs, « selon (ju'ils

COMMENTAIRE 145

paraboles quil leur disait la parole, selon qu'ils pouvaient comprendre; ^4 et il ne leur parlait

pouvaient entendre ». Si la notice s'arrêtait là, on pourrait penser que Tévangéliste comprend et in- dique le but réel des paraboles. Tout autre est l'idée de celui qui écrit ensuite : « il ne leur parlait pas sans paraboles, mais il expliquait tout en particu- lier à ses disciples » ; car cette remarque se réfère évidemment à ce qui a été dit plus haut touchant le caractère aveuglant des paraboles. Le Christ ne dit rien au peuple sans parabole, parce que les Juifs ne doivent pas pénétrer le mystère du royaume, et il explique tout en particulier à ses disciples, parce que c'est à ceux-ci que le mystère est confié. Pour entrer dans l'esprit du dernier rédacteur, il faut admettre que >< selon qu'ils pouvaient entendre » se rapporte aux « entendants qui ne comprennent pas » et concerne un discours adressé aux oreilles, non à l'intelligence des auditeurs. Interprétation artificielle, la formule en ({ueslion ne comportant pas la distinction qu'on est obligé de faire entre l'audition et l'intelligence : s'il s'agit d'ouïr, K selon » n'a aucune raison d'être, car, en ce sens-là, les auditeurs n'entendent pas à moitié; et si la possibilité de comprendre est admise, l'audi- tion cesse d'exclure l'intelligence. Les deux élé- ments contradictoires de cette finale doivent cor- respondre aux dernières étapes de la rédaction. Le rédacteur qui a d'abord pourvu le Semeur d'un commentaire pense que les paraboles sont

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146 l'évancile selon marc

pas sans parabole, mais en particulier il expli- quait tout à ses propres disciples.

'^■' Et il It'ur dit, en ce jour-là, le soir venu :

simplement difficiles à entendre, même pour les disciples, et c'est dans cette persuasion qu'il écrit : « selon qu'ils pouvaient entendre », ne songeant pas encore «pie les paraboles auraient pu être dites pour n'être pas du tout comprises. On ne peut guère supposer, abstraction faite de l'explication réclamée pour la parabole du Semeur, que le genre parabolique aurait été d'abord signalé comme une accommodation de la vérité évangélique à l'ensei- gnement du peuple, une pareille considération, naturelle pour nous, n'étant pas de celles qui ont pu se faire jour dans la tradition. Mais celui qui affirme que le Christ ne parlait pas sans paraboles au peuple, sauf à expliquer en secret toutes ces pa- raboles aux disciples, est celui qui a pensé que les paraboles étaient destinées à procurer l'endurcis- sement des Juifs. Voyant l'abondance relative des paraboles dans la tradition évangélique, il n'a pas trouvé d'inconvénient à dire que Jésus, pour assu- rer l'accomplissement des desseins providentiels, n'avait jamais dit au peuple que des paraboles, des énigmes inint^^lligibles, symboles du mystère dont les chrétiens seuls ont la clef.

Pour amener l'histoire de la tempête apaisée, l'évangéliste remonte au début du précédent récit.

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« Passons à l'autre bord. » '■'■'' Et laissant la foule, ils remmenèrent comme il était dans la barque, et d'autres barques étaient avec lui. ^' Et il survint un grand tourbillon de vent, et les vagues envahissaient la barque, en sorte

il a montré Jésus installé dans une barque pour instruire le peuple. Le soir est venu, et le Christ, au lieu de descendre à terre afin de congédier son auditoire et de chercher un gîte pour la nuit, se propose de disperser la foule en s'éloignant lui- même. Il est superflu de conjecturer 1rs motifs de ce départ, la transition ayant été arrangée par le rédacteur. La décision de Jésus paraît subite, puisque les disciples n'en ont pas été avertis; d'autre part, ce sont les disciples qui, " laissant la foule » devenir ce qu'elle pourrait, " prennent avec eux » leur maître « comme il était dans la barque », c'est-à-dire sans autre préparatifs. Mais le Christ était déjà dans la barque avec les dis- ciples ; ceux-ci n'ont pas eu besoin de le prendre. La suture est maladroite et laisse voir que le com- mencement de l'anecdote a été modifié pour s'a- daptera ce qui vient d'être raconté; dans la source, Jésus était à terre, et les disciples le prenaient avec eux pour la traversée. Peut-être ce récit de tempête, comme son doublet. Jésus marchant sur les eaux vi, 46-51 1, se rattachait-il originairement à un récit de la multiplication des pains. On ne voit pas pourquoi le narrateur mentionne la pré-

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que la barque était déjà remplie; '^^ et lui était à la poupe, endormi sur l'oreiller. Et ils l'éveil- lèrent et lui dirent : «Maître, n'as-tu pas souci de ce que nous périssons? » -^^ Et s'étant levé, il menaça le vent et il dit à la mer : « Silence!

sence d'autres bateaux : il n'en sera plus question dans la suite, et sans doute ils ne sont pas inventés pour multiplier les témoins du miracle. Peut-être n'est-ce qu'un développement peu réussi de la transition, les disciples prenant Jésus dans la barque il était, bien qu'il y ait d'autres barques il aurait pu monter; ou bien encore ce trait avait dans la source une signification qu'il a perdue dans le présent contexte.

Le miracle de la tempête apaisée se passe en pleine nuit, comme celui de Jésus marchant sur les eaux. La barque avançait lentement sous l'ef- fort des disciples qui maniaient la rame; le Christ, assis à l'arrière, s'était endormi, la tête appuyée « sur l'oreiller », c'est-à-dire sur le coussin des rameurs. Survient un grand coup de vent qui met les voyageurs en péril. Il paraît que ces rafales ne sont pas rares sur le lac de Tibériade. Envahie par les flots, la barque de Pierre menaçait de sombrer, et Jésus ne s'éveillait pas. Les disciples effrayés le tirent de son sommeil en l'appelant à leur se- cours. Ils lui font presque reproche de les laisser en péril, ou tout simplement de dormir pendant qu'ils sont en danger. Jésus se lève, menace la mer, comme on le dit souvent de Dieu dans l'An-

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tais-toi! » Et le vent s'apaisa, et il se fit un grand calme. Et il leur -dit : « Pourquoi êtes- vous craintifs? N'avez-vous pas encore de foi? » ^' Et ils furent saisis d'une grande frayeur, et

cien Testament, et févangéliste reproduit son dis- cours. Jésus parle à la mer comme aux démons (cf. I, 25j. C'est que la mer et l'ouragan ne sont pas des éléments matériels dont le mouvement est fatal, mais presque des êtres vivants, ou les ins- truments des puissances qui troublent la paix de la création. Aussitôt les éléments se calment. Mais